Podcast

Série : La mort et nous (Episode 1 sur 4)

Mourir chez soi, mourir à l'hôpital : où rendre son dernier soupir ?

Perrine Kervran
Diffusé le lundi, 26 avril 2021 (53 min)


Le médecin a remplacé le prêtre au chevet du mourant. Pourtant, le rapport à la douleur et à la mort a longtemps été écarté de cet accompagnement médicalisé. Comment expliquer l’acceptation progressive de la mort à l’hôpital ? Quelles sont les implications pour les médecins et les familles ?


Anne Carol Professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Aix-Marseille



   
Provient de l'émission
Le Cours de l'histoire

Au programme
  • Où rendre son dernier soupir ? Veut-on mourir chez soi ou mourir à l’hôpital? C’est une question que l’on a pas toujours le loisir de se poser mais qui fait surgir des images. La scène se passe dans une chambre, il y a un lit au centre de la pièce, les rideaux ou les stores sont baissés, tout le monde est réuni au chevet du mourant, et souvent quelqu’un lui tient la main, difficile de dire si c’est le jour ou la nuit, il y a le futur veuf, la future veuve, la famille, parfois les voisins, souvent des religieux, certains pleurent, un autre se frappe la poitrine, d’autres se recueillent,  ou,  la main posée sur une épaule cherchent à apaiser le chagrin. Il peut aussi y avoir des  silences inconfortables ou bien des râles et des soupirs, et selon les époques il y a aussi des machines qui bipent ou qui ronronnent, mais quoi qu’il arrive le médecin fait partie du décor. Il est peu à peu devenu le personnage incontournable de cette étape de la vie, particulièrement en ce moment,  et c’est intéressant de se demander comment. (Perrine Kervran)

    Au XIXe siècle, les médecins s'approprient le moment de la mort et se substituent aux prêtres. Pourtant, cette médicalisation reste longtemps distincte d’une prise en charge de la fin de vie par les milieux hospitaliers. 

    En 1960, seul un tiers des décès survenait à l’hôpital. Plusieurs facteurs sociaux et médicaux expliquent que ce changement dans les lieux de la mort ait été aussi tardif. Au XIXe siècle en effet, mourir à l’hôpital est la pire des morts possibles. C’est le signe de la mort solitaire de celui qui est démuni au point de s’en remettre à l’hospice pour vivre son agonie. Il est beaucoup mieux vu de mourir chez soi, entouré de ses proches et de son médecin de famille. Les docteurs eux-mêmes ne considèrent pas qu’il soit de leur devoir d’accompagner l’agonie et d’assister au décès de leurs patients. Ils ne se considèrent même pas tenus d’annoncer aux patients qu’ils sont condamnés, de peur que cette nouvelle n’épuise leurs dernières forces vitales. Au contraire, jusqu’aux années 1930, les médecins cherchent à retarder le plus possible le moment de la mort, même si cela implique de recourir aux électrochocs, à la douleur, aux injections de caféine….

    Pourtant, le médecin s’impose peu à peu comme le spécialiste de la mort. Il est le seul capable de la reconnaître avec certitude, et d’éviter ainsi les inhumations prématurées qui terrifient les élites du XIXe siècle, en plus d’être tenu de prolonger la vie du patient à défaut de pouvoir la lui sauver. Le médecin doit conquérir la mort, à défaut de pouvoir la combattre. Certaines voix s’élèvent contre cette conception des choses dès le début du XXe siècle, où émergent les premiers discours sur l’euthanasie et sur la place à accorder à la douleur dans l’accompagnement de la fin de vie. Comment cette médicalisation de la mort a-t-elle peu à peu changé de sens depuis le XIXe siècle ? Comment le foyer a-t-il peu à peu cessé d’être le lieu de la mort par excellence ? 

    Pour comprendre ces évolutions, nous recevons Anne Carol, maître de conférences à l'université Aix-Marseille I, membre associée du Centre Alexandre Koyré et membre élue du CNU. Elle est spécialiste de l’histoire de la mort et l’autrice de nombreux ouvrages dont Les médecins et la mort XIXe-XXe siècle (Aubier, 2004), Physiologie de la Veuve. Une histoire médicale de la guillotine (Champ Vallon, 2012) et L’embaumement. Une passion romantique, France XIXe siècle (Champ Vallon, 2015). 

    Au XVIIIe siècle s’opère un tournant lorsque le médecin s’installe au chevet du mourant, qui devient alors un territoire à conquérir pour la médecine. Dans un premier temps, s'installe un face-à-face du médecin avec la mort afin de justifier une présence nouvelle : un acharnement thérapeutique dont le patient est exclu.

    La valeur religieuse de la souffrance rédemptrice s’atténue avec le temps et l’utilisation progressive de la morphine (1860), qui va offrir une capacité de bienfaisance auprès des mourants. 

    La médicalisation de la mort va se développer plus rapidement en ville qu’à la campagne, où l’hôpital va rester longtemps répulsif.

    En France, un antagonisme s’est étonnamment créé entre deux approches médicales dans la mort : l’accompagnement médicalisé, de contrôle, vers la mort – réhumanisation de la mort – et l’aide à mourir, à décider de sa propre mort (euthanasie).

    Sons diffusés :

    Extrait - Kingdom of heaven de Ridley Scott (2005).

    Archive - Les Français s'interrogent - France Culture - 03/10/1975.

    Extrait - Dernier état réalisé par Daniele Incalcaterra (1984) - Collection Ateliers Varan.

    Lecture - Madame Bovary de Gustave Flaubert (1857), lu par Olivier Martinaud.

Illustration
Le Cours de l'histoire
Photographie
  • Christophe Abramowitz
Copyright
  • Radio France
Collection
La mort et nous

Consulter en ligne

Suggestions

Du même auteur

Corps souffrants, corps combattants | Didier Roth-Bettoni
Podcast

Corps souffrants, corps combattants

LSD, la série documentaire (Episode 2 sur 4)

Didier Roth-Bettoni | Perrine Kervran
Diffusé le mardi, 14 décembre 2021  (Durée 59 min)

La question de la représentation du Sida se pose pour les artistes.

Face à la mort | Jérôme Sandlarz
Podcast

Face à la mort

LSD, la série documentaire (Episode 4 sur 4)

Jérôme Sandlarz | Perrine Kervran
Diffusé le jeudi, 24 mars 2022  (Durée 57 min)

Au bout du risque, il y a souvent l’accident et parfois la mort. Nos protagonistes reviennent sur un accident qui a marqué leur vie.

Des murs, des barbelés, des colons et une occupation | Perrine Kervran
Podcast

Des murs, des barbelés, des colons et une occupation

LSD, la série documentaire (Episode 3 sur 4)

Perrine Kervran | Alain Lewkowicz
Diffusé le mercredi, 14 juin 2023  (Durée 57 min)

Comment trouver ses repères et mener une existence normale dans une géographie et un quotidien aléatoires et arbitraires ? Comme si tout pouvait basculer d’un instant à l’autre sous l’action des ...

De la gourmandise aux lobbys | Perrine Kervran
Podcast

De la gourmandise aux lobbys

LSD, la série documentaire (Episode 2 sur 4)

Perrine Kervran
Diffusé le mardi, 24 décembre 2019  (Durée 55 min)

A tout âge, nos papilles sont affriolées par la tentation des sucreries. Mais c'est précisément sur ce goût qui rappelle l'enfance que s'appuie le lobbying mis en place par l'industrie agro-alimentair...

La rencontre | Perrine Kervran
Podcast

La rencontre

LSD, la série documentaire

Perrine Kervran
Diffusé le lundi, 19 avril 2021  (Durée 55 min)

Quelles questions, quels espoirs naissent d’un premier rendez-vous amoureux ?

Marins d’eau douce : sur la Marne | Perrine Kervran
Podcast

Marins d’eau douce : sur la Marne

LSD, la série documentaire

Perrine Kervran
Diffusé le vendredi, 23 août 2019  (Durée 55 min)

De Châlons-sur-Marne jusqu'à Paris : une expédition de 217 km sur la Marne

Petite histoire du bac pro | Perrine Kervran
Podcast

Petite histoire du bac pro

LSD, la série documentaire (Episode 4 sur 4)

Perrine Kervran
Diffusé le jeudi, 05 septembre 2019  (Durée 55 min)

De la loi Astier à la réforme Blanquer, en passant par la création du bac pro, et les désormais rituels 80% d’une classe d’âge bachelière ; on peut faire l’histoire de l’enseignement professionnel et ...

L’innocente cruauté des petits guerriers | Perrine Kervran
Podcast

L’innocente cruauté des petits guerriers

LSD, la série documentaire

Perrine Kervran
Diffusé le mardi, 26 janvier 2021  (Durée 55 min)

Enfants soldats, petits bourreaux pendant les guerres de religion, enfants de Daesh, enrôlés de force ou volontaires… On les considère comme des bombes à retardement qu’il faudrait désamorcer. Commen...

Fatigue des corps | Perrine Kervran
Podcast

Fatigue des corps

LSD, la série documentaire (Episode 7 sur 4)

Perrine Kervran | Annelise Signoret
Diffusé le mercredi, 12 février 2020  (Durée 55 min)

C’est progressivement que le corps s’affaiblit, ce qui laisse le temps de s’habituer à ce changement d’identité qu’est la vieillesse.

Chargement des enrichissements...