Comment poser cette question en termes de justice, étant entendu que la colonisation était aussi un phénomène de capture culturelle et psychique qui a tout redéfini jusqu’aux catégories de la justice ? Comment, en d’autres termes, décoloniser l’approche postcoloniale ? Comment éviter qu’elle se réduise à l’espoir d’une inversion de la domination ? Cela pose l’immense problème des réparations sur lequel Esprit de justice s’est souvent penché, mais au-delà comment imaginer l’avenir en sortant de la double logique de la peine et de la vengeance ? Il faut rechercher, écrit l’un de mes invités de ce soir, « un concept de justice qui lie les sujets et qui ne les isole pas. La mise ensemble des sujets favorisera les divers processus de co-individuation ».
Esprit de justice vous propose donc d’écouter deux voix africaines pour traiter de ces importantes questions, loin du brouhaha médiatique et des pièges de la pensée de campus. Il s’agit de celles de Philippe Kabongo M’Baya, Pasteur de l’église protestante unie de France, enseignant à l’Institut inter-religieux de Rabat (Maroc), et de Jean-Godefroy Bidima, philosophe, enseignant à l’université de Tulane aux États-Unis, auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’esthétique et la pensée africaine, notamment : La Palabre. Une juridiction de la parole (éditions Michalon, collection « Le bien commun »), et La philosophie négro-africaine (Que sais-je ?, PUF).
La grande idée de cette question décoloniale est la suivante : l'oppression politique et économique ont abouti à une espèce d'oppression intellectuelle. [...] La question décoloniale va donc consister à s'attaquer à certaines idées qui paraissaient des idées générales, des idées généreuses. [...] C'est le volet théorique de la question décoloniale. Le volet politique, c'est que la question décoloniale demande des réparations qui doivent passer d'abord par une réparation symbolique, [...] et cette décolonisation symbolique devrait d'abord se passer en Occident. Jean-Godefroy Bidima
Une parole est une parole qui va demeurer parce qu'elle est portée aussi par des rites qui font qu'on s'en souviendra. Ce sont ces rites, joints aux paroles, qui donnent mémoire, le lieu où la parole va rester et qui donne à la parole quelque chose qui est comme une carapace institutionnelle. Par exemple, il n'y a pas de code législatif dans les sociétés africaines traditionnelles, mais les proverbes et les choses rituelles qui ont été faites quand cette parole a été dite, donnent à la parole une pérennité, et quelque chose qui est de l'ordre de cette référence se maintient. Elle fait institution. Philippe Kabongo Mbaya
Pour aller plus loin
Ici (aux États-Unis, ndlr), les jeunes Africains ne parlent pas leur langue car les parents ne leur transmettent pas, et ils ont, avec la culture africaine, un rapport folklorique. [...] Et ce rapport folklorique, cette culture africaine, est une parenthèse dans leur vie. [...] Donc, je ne pense pas qu'il y ait une prise au sérieux des traditions africaines parce que pour prendre au sérieux une tradition, il faut d'abord étudier la symbolique, et cette symbolique-là passe d'abord par la langue. Jean-Christophe Bidima
Extraits musicaux
"You are my mountain" par Rose Muhando - Album single (2021) - Label : Records DK.
"Nani kama wewe" par Eunice Njeri - Album : "Nimekubali" (2016).