Murs en béton, grillages, clôtures surmontées de barbelés... Depuis une vingtaine d’années, les barrières physiques se multiplient aux frontières de l'Union européenne. Sur les territoires hongrois, espagnols, grecs ou encore bulgares, ce sont désormais 13% des frontières terrestres de l'Union européenne qui sont clôturées. Et puisque les murs ne suffisent pas, ce sont désormais des caméras, des drones de surveillance et tout un arsenal numérique qui sont déployés aux frontières. Objectif : dissuader ou empêcher toute personne d’entrer illégalement sur le territoire.
Si la protection des frontières reste du ressort de chaque Etat, c’est bien d’un enjeu européen dont il s’agit. En 2005, l’Union créait Frontex, une agence chargée d’épauler les Etats dans le contrôle des frontières. Devenue en 2016 une véritable agence de garde-côtes et garde-frontières, les moyens qui lui sont alloués sont en forte augmentation. Présente dans 20 pays elle peut compter sur un budget de 5,6 milliards d’euros pour la période 2021-2027 (contre 6 millions en 2005) tandis que ses effectifs devraient monter jusqu’à 10 000 agents.
Mais pour quelles missions exactement ? Que signifie concrètement le contrôle et la surveillance des frontières en 2023 ? Comment l’Europe - espace de libre-circulation en interne - est-elle devenue la forteresse que l’on connaît aujourd’hui ? 35 années après la chute du mur de Berlin, les frontières physiques sont-elles désormais une réalité non seulement tangible mais aussi acceptable politiquement ?
Julie Gacon reçoit Olivier Clochard, géographe au laboratoire "Migrations internationales, espaces et sociétés" du CNRS et de l'Université de Poitiers, membre du réseau Migreurop et de Institut des Convergences Migration ainsi que Denis Duez, professeur en science politique à l'Universités de Saint-Louis-Bruxelles.
Olivier Clochard donne une idée de la forte augmentation des moyens mis en place dans la lutte contre l’immigration illégale vers l'Europe : “en 2014, 315 km des frontières européennes étaient murées. On en est maintenant à 2100 km. Et ces murs ne sont que la partie émergée des systèmes de contrôle qui sont bien plus vastes.”
Denis Duet explique pourquoi les technologies proposées par le secteur de l’armement ont tant de succès auprès des responsables européens : “les dispositifs techniques comme celui de la frontière intelligente visent à concilier deux objectifs à priori contradictoires : permettre un accroissement sans cesse plus important des flux transfrontaliers, notamment commerciaux, tout en respectant l’impératif d’un niveau élevé de sécurité et de contrôle des migrations.”
Le débat sur le mandat de l'agence Frontex est caractéristique des sacrifices fait par l'Europe sur les droits de l'Homme au profit de plus de sécurité. Selon Denis Duet, la défense du patron de Frontex, qui a dû démissionner à cause de violation de droits fondamentaux, n’est pas agréable à entendre, mais elle est en partie justifiée : “la manière dont on a défini le périmètre d’action de Frontex n’en fait pas une agence de protection des droits fondamentaux, mais d’abord une agence de contrôle et surveillance des frontières. Ce mandat a été révisé à plusieurs reprises et aujourd’hui, il devrait y avoir des agents spécialisés en droits fondamentaux, ce que l’agence ne respecte pas. C’est l’une des choses que lui reproche le Parlement européen.”
Pour aller plus loin :
Seconde partie : le focus du jour
Ceuta et Melilla, laboratoire européen de la politique des murs aux frontières
Avec Elsa Tyszler, sociologue, chercheuse au CNRS. Spécialiste de Ceuta et Melilla.
24 juin 2022 : aux abords de l’enclave espagnole de Melilla située au nord du Maroc, quelques milliers de migrants se lancent à l’assaut des barrières qui séparent le Maroc de la ville espagnole. Violemment interpellés par la police, les migrants, d’origine sub-saharienne, sont frappés et laissés au sol sans secours. Bilan : environ 40 morts, 70 personnes disparues et une centaine d’autres arrêtés. Amnesty International parle de “tuerie de masse”.
Qu’est-ce que les événements du 26 juin nous disent de la violence qui s’exerce aux frontières entre Ceuta et Melilla et le Maroc ? Pourquoi le passage de cette frontière est-il particulièrement dangereux et meurtrier et qui en est responsable ?
Selon Elsa Tyszler, le récit officiel des autorités marocaines et espagnoles qui nient toute responsabilité de leurs forces de sécurité ne tient pas : “c’est le dernier massacre d’une longue liste ayant eu lieu sur cette frontière depuis les années 1990. [...] Il y a un fort soupçon de guet-apens tendu à ces migrants qu’on aurait incité à sortir des montagnes où ils se cachaient à ce moment-là et sur ce lieu de la barrière précisément. Les violences qui ont eu lieu ce jour-là étaient donc plus ou moins planifiées.”
Références sonores & musicales
Une émission préparée par Mélanie Chalandon.