"La Nuit ravagée" de Jean-Baptiste Del Amo
► Chez Gallimard
Lauréat du livre Inter 2017, pour le "Règne Animal", cette fois-ci l'auteur nous emmène dans la banlieue pavillonnaire de Toulouse au milieu des années 90. Quatre adolescents fréquentent le même lycée et Jean-Baptiste Del Amo prend soin de s’attarder sur les drames et les désirs de chacun. À ces quatre garçons, se joint une nouvelle venue dans le quartier : elle s’appelle Lena. Elle et sa mère ont fui un beau-père violent.
Très vite, il est précisé que les moments d’insouciance vécus par ce club des cinq sont les derniers. Parce que ces ados sont aimantés par une maison abandonnée, située dans une impasse du quartier. Ils vont en franchir le seuil et cette maison va se nourrir de leurs fantasmes et de leurs peurs.
"La Nuit Ravagée" est un roman d'horreur, voire gore, comme on le dirait d’un film, avec morts-vivants, corps en décompositions ou insectes géants. Jean–Baptiste Del Amo précise d’ailleurs dans une postface l’hommage qu’il rend aux films d’horreur des années 80 et 90.
"Immortels" de Camille Kouchner
► Éditions du Seuil
Après la publication de "La Familia Grande", où Camille Kouchner révélait l'inceste commis par son beau-père sur son frère jumeau, “Immortels” est une première fiction où la narratrice se prénomme K, comme la lettre. Elle se réveille dans une chambre d’hôpital après avoir subi une mastectomie.
Pendant son réveil, les souvenirs de son enfance et de son adolescence reviennent par flash. La vie de K a longtemps fusionné avec celle de Ben, un garçon avec qui elle a grandi et elle définit leur relation en écrivant : "Ben était la seule fille que je voulais être. J’étais le seul garçon dont il aimait l’incarnation."
Mais l’éducation de ces deux gosses les ramène, avec violence, aux carcans du masculin et du féminin.
"Immortels" est notamment le récit de cette éducation dans un milieu très aisé, intellectuel où les enfants sont souvent livrés à eux-mêmes, où les parents soixante-huitards portent leurs victoires en étendard comme la liberté sexuelle, avec les dégâts que ça suppose.
"Giovanni Falcone" de Roberto Saviano, traduit de l’italien par Laura Brignon
► Chez Gallimard
Le livre est consacré aux 20 dernières années de Giovanni Falcone, ce juge antimafia mort en 1992 avec ses trois gardes du corps et sa femme, Francesca Morvillo. Tous les cinq furent assassinés dans un attentat à la bombe commandité par Toto Riina, l’un des plus puissants parrains de la mafia.
Plus on avance dans la lecture du livre, plus leur mort semble inéluctable parce que Saviano retrace ce qu’il appelle une “course de relais”. Ce que juges et policiers relaient, c’est à la fois la lutte contre la mafia, mais c'est aussi la mort, puisque Giovanni Falcone s’inscrit dans une longue lignée de juges et de policiers assassinés les uns après les autres.
D’ailleurs le titre italien du livre est peut-être plus juste que celui qui a été choisi pour l’édition française. Ce titre italien, c’est “Le courage est solitaire” qui est aussi la dernière phrase du roman d’ailleurs.
Saviano fait vivre ce courage, cette solitude et la peur qui va avec de l’intérieur, d'autant qu’il les éprouve au quotidien lui-même. Roberto Saviano vit sous les menaces de mort de la mafia depuis 2006, date à laquelle fut publié son premier roman - enquête intitulé “Gomorra”.
"Toronto" d’Elisabeth Benoit
► Chez P.O.L
Voici le récit d’une fascination pour les documents liés aux procès qui ont opposé Johnny Depp et son ex-femme Amber Heard. Deux procès où ils s’accusaient mutuellement de diffamation et de violences conjugales.
L’ambition du livre d’Elisabeth Benoît n’est pas d’établir la vérité des faits, mais de brasser une multitude d’archives disponibles sur internet, des minutes de procès, des SMS, enregistrements de disputes - parce que Johnny Depp et Amber Heard s’enregistraient - donc, énormément de documents intimes et réels devenus sujets d’une conversation mondiale et ici matière à roman.
Le livre est un montage de paroles. Celles de Johnny Depp, Amber Heard, mais aussi celles de leurs proches, collègues acteurs, psy, garde du corps, gardiens d’immeubles...
Ils prennent la parole successivement et la narratrice intervient pour apporter une précision ou dire son addiction à cette histoire que les réseaux abreuvent ad libitum. Un roman-fleuve de 500 pages.
"Grand Amour" d’Eva Ionesco
► Chez Robert Laffont
C’est le troisième et dernier volet d’une série de romans autobiographiques qu’Eva Ionesco consacre à sa jeunesse. Une jeunesse brisée par sa mère, qui la fait poser pour des photos pédopornographiques et qui l’offre à des hommes de passage, comme Gabriel Matzneff.
Comme dans le roman précédent d’Eva Ionesco, nous sommes dans le Paris de la fin des années 70. On retrouve la même bande d’amis, ce grand amour, prénommé Charles, qui a dix ans de plus qu’elle, quand elle en a 13.
Le roman se déploie entre les 13 et 17 ans d’Eva Ionesco, entre nuits au Palace et plongées dans un univers carcéral, celui de plusieurs centres de la DDASS, où la jeune Eva est enfermée. Le livre est notamment dédié aux filles de la DDASS.
Les coups de cœur de nos critiques littéraires
Jean-Marc Proust : la BD "De Pierre et d'Os" de Jean-Paul Krassinsky, d'après le roman de Berengère Cournut (Dupuis)
Elisabeth Philippe : le livre "Je sors ce soir" de Guillaume Dustan (Poche)
Hubert Artus : la réédition de quatre polars sur l'Amérique de Jim Thompson (Rivages)
Arnaud Viviant : le livre "Deux hommes en un" de Graham Greene, traduction Claro (Flammarion)
Rebecca Manzoni : La lauréate du Nobel jeunesse cette année est une autrice française, c’est Marion Brunet qui écrit aussi des polars. Elle a le talent d’écrire des romans pour ados, un public que les dernières enquêtes décrivent de moins en moins intéressés par la lecture. Alors d’expérience, je ne peux que vous conseillez les romans de Marion Brunet, déjà, ne serait–ce que pour faire comprendre à votre ado cette réalité toute simple : un écrivain n’est pas une personne décédée, mais une femme ou un homme bien vivant, qui lui parle de son époque. Je vous recommande particulièrement le roman “Sans foi ni loi”, à partager et à voix haute. C’est un western dans l’Amérique des années 20, qui parle d’aujourd’hui, avec un personnage féminin magnifique, qui emmène un jeune gars dans ses aventures et lui fait découvrir l’ivresse autant que le prix de la liberté. Il y a aussi "Frangine", "Dans le Désordre" et "Sans Foi ni loi" (en Poche).