Lorsque Manon Garcia était étudiante en France, personne ne lisait Simone de Beauvoir, qui était alors considérée comme une autrice à succès, mais sans grand intérêt philosophique. "J'ai d'abord été bouleversée par la lecture des Mémoires d'une jeune fille rangée, puis vers l'âge de 17/18 ans, j'ai tenté de lire Le Deuxième sexe, qui m'est tombé des mains." Ce n'est que des années plus tard, en travaillant pour sa thèse sur des féministes anglo-saxonnes, que Manon Garcia se tourne à nouveau vers ce texte devenu depuis incontournable : "et là il m'arrive la pire chose qui peut arriver à quiconque vient de commencer une thèse : je me rends compte que c'est tout ce que j'espérais faire, mais en mieux".
Le concept de femme contre les mythes de la femme
Selon Manon Garcia, Le Deuxième sexe pose les mêmes questions que les Méditations Métaphysiques de Descartes car Simone de Beauvoir y montre qu'être une femme, "c'est ne pas pouvoir faire l'expérience du doute radical cartésien parce qu'on ne peut pas se dire à soi-même qu'on n'a pas de corps". Elle invite ainsi à penser la femme afin de faire un sort aux mythes associés aux femmes, qui les desservent - quand ils ne les mettent pas carrément en danger.
"Les hommes ont des projections idéalisées de la femme - c'est ce que Beauvoir appelle l'éternel féminin. Or la vraie vie des femmes ne les intéresse pas. Dominique Pelicot par exemple, est empêtré dans les mythes contradictoires de la maman et la putain. Or ce que Beauvoir montre, c'est que ces mythes empêchent la rencontre entre les hommes et les femmes."
Le cogito féminin
Dans Le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir explique aussi que les femmes ne peuvent pas prétendre ne pas être incarnées, ce qui leur permet d'échapper à la mauvaise foi. "Beauvoir montre qu'être un être humain, c'est être à la fois esprit et chair, objet et sujet, et donc métaphysiquement ambigu. Or les hommes sont autorisés à ne se sentir que sujets, à se voir comme des purs esprits, à ne jamais se sentir "autre". Ce qui implique qu'ils passent à côté de la vraie existence humaine, qui a deux facettes."
"Beauvoir ne dit pas qu'il faut renoncer au sujet, mais elle dit qu'il faut comprendre qu'on est tout le temps des sujets en relation avec d'autres sujets pour qui nous sommes des objets. Selon elle, c'est cette réciprocité qui rend notre liberté possible, car ce n'est que parce que les autres continuent nos actions et y répondent qu'il y a du sens dans le monde."
"Hegel, c'est la face nord des Grandes Jorasses"
Manon Garcia aime beaucoup Hegel, mais elle peine vraiment à le lire : "c'est trop dur. Les Principes de la philosophie du droit, c'est le seul livre où j'ai pleuré de ne pas comprendre. Récemment, je me suis dit que je commençais à avoir de la bouteille, et j'ai voulu relire la préface de La Phénoménologie de l'esprit. Mais j'ai l'impression d'être complètement débile !"
Extraits sonores :
- Archive de Simone de Beauvoir du 28 mars 1967, Radio Canada
- Lecture par Anaïs Ysebaert de deux extraits du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, Tome 1 "Les faits et les mythes", Troisième partie "Mythes", chapitre III, Gallimard, 1949
- Archive sur le procès Mazan du 19 décembre 2024, Le Parisien
- Je vous déteste, les hommes, chanson de Nila Cara
