L'origine de l'expression "hégémonie culturelle" est souvent connue, et volontiers rappelée : cette expression provient du penseur Antonio Gramsci, mort dans les geôles fascistes italiennes en 1937, et auteur de très fameux Cahiers de prison – il s’agit de 33 cahiers en tout, écrits entre 1929 et 1935.
Depuis quelque temps, tout le monde semble avoir à la bouche l’enjeu de l’hégémonie culturelle. Voilà ce qu’il faudrait retrouver, dit la gauche, contre une droite qui, alors qu’elle était en méforme dans la période 1960-1990, a ensuite habilement relancé le débat sur les "valeurs" et est devenue, elle, hégémonique désormais. Mais n’est-ce vraiment que cela, l’enjeu de l’hégémonie selon Gramsci, à savoir une simple lutte sur le terrain des "idées" ? Sans prise en compte de l’état des forces matérielles, pour parler comme Marx, que Gramsci, homme de gauche, connaissait bien ? Sans analyse politique plus globale sur l’état des classes sociales ? Sans réflexion plus approfondie sur ce qu’est, et ce que peut l’Etat ?
L'hégémonie culturelle, condition de possibilité de la constitution d'une conscience de classe
Judith Revel s'intéresse au "problème de la constitution d'une conscience de classe, celle-ci étant nécessaire à un projet socialiste, c'est-à-dire communiste à l'époque de Gramsci." Elle explique que "l'hégémonie culturelle dont parle Gramsci est précisément la condition de possibilité de la constitution d'une conscience de classe nécessaire au projet révolutionnaire." Pour constituer une conscience de classe, il est en effet nécessaire de passer par la constitution d'une culture commune. C'est pourquoi, précise Judith Revel, "l'hégémonie culturelle est la réponse qu'apporte Gramsci à un autre concept, à savoir le concept marxien d'idéologie. L'idéologie correspond à l'ensemble des représentations culturelles, des valeurs, des principes de la classe dominante, c'est-à-dire de la bourgeoisie."
Un travail politique constant entre la masse et l'intellectuel
S'il est nécessaire de constituer une culture commune, Jean-Claude Zancarini souligne que Gramsci insiste sur l'importance d'effectuer "un travail permanent de rapport entre intellectuel et masse". Ce qui s'instaure, c'est "un rapport dialectique entre les deux qui engendre une transformation : de ce travail réciproque, émerge ce que Gramsci appelle "l'intellectuel organique"." Jean-Claude Zancarini précise ce que Gramsci entend sous ce terme : "Les individus qui enseignent sont transformés par les individus enseignés, et réciproquement. C'est pourquoi les individus d'abord enseignés peuvent eux-mêmes devenir enseignants." Ce travail politique de persuasion permanente à accomplir permet de "partir du sens commun des masses pour le transformer. On peut alors faire advenir un autre sens commun", explique Jean-Claude Zancarini.
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Pour en parler
Judith Revel, professeure de philosophie française contemporaine à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Spécialiste de Michel Foucault, elle travaille aussi sur la pensée du politique et les représentations de l’histoire en France et en Italie après 1945.
Elle a notamment contribué à :
- Marx et Foucault. Lectures, usages, confrontations (direction Christian Laval, Luca Paltrinieri et Ferhat Taylan), La Découverte, 2015 : "Foucault, marxiste hérétique ? Histoire, subjectivation et liberté" (Judith Revel ; p. 154-172).
- Dictionnaire politique à l'usage des gouvernés (direction Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc), Bayard, 2012.
Jean-Claude Zancarini, professeur émérite d'études italiennes à l'Ecole normale supérieure de Lyon, spécialiste d'Antonio Gramsci et de Nicolas Machiavel.
Il a notamment publié :
Références sonores
- Archive de Jean-Marie Le Pen, extrait de son discours au défilé du 1er mai 2007 diffusé sur BFM-TV.
- Archive d’Alain de Benoist, invité de l'émission Apostrophes sur Antenne 2 présentée par Bernard Pivot, 1979.
- Archive de James Davison Hunter, sociologue américain, Times Radio, le 2 mai 2025.
- Lecture par Axel Dubois d'un extrait d'Antonio Gramsci, Cahier 10, §44 (août-décembre 1932), traduction de Françoise Bouillot.
- Chanson de fin d'émission : "The revolution will not be televised" de Gil Scott-Heron (1971).
