Raconter, c’est une activité qui a de multiples visages. Une victime ou une famille endeuillée raconte un attentat, devant des psychologues notamment, pour essayer d’aller mieux. Un journaliste fait parler des témoins et des survivants pour assez vite établir les faits et les organiser en un récit. Un historien reprend le récit en mettant les événements en perspective, en les reliant à d’autres, à un contexte, à des guerres éventuelles. Un témoin ou une victime prend la plume pour dire en longueur ce qu’ont été ces instants terribles, la tuerie et ses échos intimes, tant de choses qui se retrouvent alors dans un livre. Une nation se souvient, dix ans après : or, commémorer, c’est aussi raconter.
Tous ces récits s’inscrivent-ils dans la même visée, ou au contraire parlons-nous de récits profondément différents, d’un travail thérapeutique, d’une démarche littéraire, d’un souci d’histoire, d’une stimulation de la mémoire collective ?
L'importance du récit
Le récit offre une possibilité unique de reconfigurer le passé, notamment lorsqu'il s'agit de mémoire traumatique. Pascal Nouvel souligne que "le récit lui-même, par sa structure, possède des capacités de réorganisation de ce vécu". Cette capacité à réorganiser les événements est essentielle pour traiter la mémoire traumatique, celle qui revient sans cesse, associée à une souffrance particulière. Il ajoute que "le vécu n'est pas, autrement dit, donné une fois pour toutes", ce qui permet au récit de modifier notre perception du passé. En racontant les événements, "le simple fait de raconter (...) nous les présente de différentes manières".
Une mémoire économe
La mémoire se concentre sur l’essentiel pour symboliser des événements complexes. Denis Peschanski parle de "condensation mémorielle : aujourd'hui, si on demande quels sont les lieux des attentats de janvier, ça sera Charlie Hebdo pour tout le monde". Ainsi, "la mémoire est économe". Selon lui, "la mémoire traumatique, c’est un oxymore ; une fois le trauma relégué dans le passé, il n'est plus traumatique".
Pour en parler
Denis Peschanski, Historien, directeur de recherches émérite au CNRS, co-responsable scientifique du programme 13-Novembre avec Francis Eustache. Il a publié :
- Sous la direction de Philippe Pierre, Denis Peschanski, Carine Klein-Peschanski et Héloïse Cartron-Picart. Victimes du terrorisme : la prise en charge (Hermann, 2020) Laura Nattiez, avec Denis Peschanski et Cécile Hochard. 13 novembre : des témoignages, un récit (Odile Jacob, 2020)
- Francis Eustache, avec la collaboration de Jean-Gabriel Ganascia, Robert Jaffard, Denis Peschanski, Bernard Stiegler. Mémoire et oubli (Le Pommier, 2014)
- Sous la direction de Denis Peschanski, et Denis Maréchal. Les chantiers de la mémoire (Ina éditions, 2013)
- Entretien avec Boris Cyrulnik. Mémoire et traumatisme : l'individu et la fabrique des grands récits (Ina éditions, 2012)
Pacal Nouvel, Professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du Centre d’Éthique Contemporaine. Il est l'auteur de :
- La puissance du narratif : connaissance de soi et récit de soi (Hermann, 30 octobre 2024)
- Avant toutes choses : enquête sur les discours d'origine (CNRS éditions, 2020)
- Axiomatique des sentiments (Hermann, 2015)
- Philosophie des sciences (PUF, 2011)
- Sous la direction de Pascal Nouvel, Repenser le vitalisme : histoire et philosophie du vitalisme (PUF, 2011)
- Histoire des amphétamines (PUF, 2009)
- Conversation avec mon clone sur la passion amoureuse (PUF, 2002)
Pour aller plus loin
Références sonores
- Amine - attentats du 14 juillet 2016 à Nice, archive Association française des victimes du terrorisme (2021)
- Extrait du film Revoir Paris (2022) est un film réalisé par Alice Winocour avec Virginie Efira, Benoît Magimel.