La crise climatique charge l’archéologie de nouvelles missions. Ou plus précisément, d’une urgence supplémentaire à leurs missions puisque la montée des eaux efface rapidement les restes des civilisations anciennes. En Alaska par exemple, le peuple Yup'ik voit chaque année les traces de son histoire disparaître. Un duo - une journaliste et une archéologue - témoigne de la richesse esthétique et historique de ce peuple via un journal d’urgence, qui vient de paraître aux éditions du Seuil. L’archéologie salvatrice des mémoires, nous en parlons aujourd'hui avec Charlotte Fauve, journaliste à Télérama et autrice. Elle a cosigné avec l'archéologue Claire Houmard "Alaska. L'usure du monde".
Dès les premiers mots, Charlotte Fauve définit cet ouvrage comme un journal d'urgence. Qu'entend-elle par là ? "Ce journal raconte le quotidien d'une part, d'une fouille archéologique, mais aussi celui d'un village qui se nomme Quinhagak, au bord de la mer, au sud-ouest de l'Alaska. Il se trouve que le peuple qui l'habite, qui est le peuple Yup'ik, vit à l'avant poste de la crise climatique." Cette crise redouble en effet d'intensité, ce qui fait vaciller le village tout entier : "D'une part, il y a la montée de la mer de Béring, mais il y a aussi les tempêtes qui redoublent d'intensité, et la fonte du permafrost - ce sol gelé depuis des millénaires - qui fragilisent ce village." D'ailleurs, les Yupiit ont donné un nom à ce phénomène : "Ils le nomment l'Usteq, ce qui signifie l'effritement, l'usure du socle stable du monde. C'est un terme que les scientifiques ont repris pour décrire les dégâts. C'est ce titre qu'on a repris pour pour le livre."
En quoi l'archéologie est-elle une discipline qui peut permettre de contrer cet effritement ou cet effondrement ? "À cause de la crise climatique, ces peuples sont aussi en train de perdre leur passé. Il y a eu peu de fouilles archéologiques en Alaska, et il y a énormément de vestiges, dont ceux de ce vieux village qui se nomme Nunalleq, qui est prisonniers de la tourbe, à quelques kilomètres du nouveau village." Les membres de ce peuple sont donc en train de perdre leur passé et au-delà, "leur mémoire qui est en train d'être emportée par les vagues, comme l'est leur identité. Est-ce qu'on peut accepter que ces peuples perdent leur identité dans une crise climatique dont ils ne sont pas responsables ? C'est là que l'archéologie est importante, parce qu'elle permet de relier ce peuple à son passé, à sa mémoire. Je pense que c'est vraiment important parce que ce sont des territoires absolument fabuleux." Ils se trouvent dans la toundra, où il y a peu de ressources : de l'ardoise, de l'os, des herbes. Y sont pratiqués "les premiers gestes de l'humanité. Ce sont des modes de vie proches du paléolithique, et finalement on est en train de perdre un patrimoine collectif immense."
S'il est dit que les peuples autochtones se rendent compte que leur mémoire est en train d'être perdue à cause du dérèglement climatique, est-ce que ce sont eux qui font appel aux archéologues pour essayer de préserver ce qui peut encore l'être ? "Justement, dans le cas de Quinhagak, cette fouille est très particulière parce que c'est une fouille communautaire qui a été lancée par les habitants avant même que le village ait l'eau courante." La décision a été précipitée par le fait que "Des artefacts ont commencé à émerger du sol, du fait de l'érosion, du fait que ce site en bord de mer était emporté par les vagues. Il y a un masque chamanique absolument incroyable qui s'est retrouvé vendu à un pêcheur." Ce qui a entraîné une prise de conscience de la fragilité du site, "et de l'importance de le sauvegarder et de garder les artefacts là où ils ont été tirés de la tourbe, c'est-à-dire dans le village."
Comment une journaliste littéraire s'est-elle retrouvée à suivre des fouilles archéologiques en Alaska ? "C'est une idée assez folle. À l'origine, Claire Houmard et moi sommes toutes deux lauréates de la Villa Albertine, qui est un programme de résidences aux États-Unis, en soutien à la création française." Charlotte Fauve écrit sur des sujets concernant l'archéologie depuis dix ans. Elle raconte que lorsqu'elle a entendu parler de cette fouille, elle a souhaité rencontrer Claire Houmard. "Je suis partie là-bas pour un premier reportage qui a changé ma vie. Cela paraissait pertinent d'avoir une journaliste sur le terrain de cette fouille où l'archéologie est vivante, parce qu'elle fait en permanence le lien entre un passé qui disparaît et un présent qui est complètement chamboulé."
Brèves du jour
La rénovation de l’Opéra Bastille pourrait coûter 400 millions d’euros. C’est l’estimation avancée par la ministre de la Culture Rachida Dati devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. Une somme jugée nécessaire car la scène notamment menace de s'écrouler. Les travaux pourraient s’étaler sur dix ans. L’État ne serait pas le seul à assurer cette dépense, qui doit aussi être financée par les réserves, les capacités d'autofinancement de l’Opéra, ainsi que le mécénat. Les travaux de l’Opeéra Garnier vont eux commencer à l’été 2027, et obligeront le site à fermer pour 2 ans.
Le prix mondial Cino Del Duca 2025, deuxième prix le plus important après le prix Nobel, a été remis à Boualem Sansal. Le prix doté de 200 000 euros a été décerné par la Fondation Del Duca pour récompenser l’ensemble de l’œuvre de l’écrivain franco-algérien, détenu en Algérie depuis novembre 2024 et dont la date du procès en appel vient d'être fixé au 24 juin prochain. Le prix vise à rendre “hommage à la force d’un écrivain qui, par-delà les frontières et les censures, continue de faire entendre une parole libre, profondément humaniste et résolument nécessaire.”