Ivan Mosjoukine, Mary Pickford, et pourquoi pas Musidora, sont des vedettes un tantinet oubliées. Pourtant, aux côtés de Chaplin, Buster Keaton, ou Max Linder, leur succès au temps du cinéma muet nous laisse sans voix. Et puis la parole fut ! Annabella, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Gaby Morlay, Marie Bell, Fernandel, Jean Gabin, Raimu : place aux vedettes de l'entre-deux-guerres !
Des vedettes pour relancer le cinéma français
Au sortir de la Première Guerre mondiale, l’industrie du cinéma français est en déclin. Alors que la France était le premier exportateur mondial de films, portée par des acteurs et actrices au rayonnement international, comme Musidora ou Max Linder, elle est dépassée par l’industrie du cinéma états-unien et allemand. Hollywood s’impose. Les raisons de son succès ? La bourgade proche de Los Angeles mise tout sur les stars et met en place un dispositif pour les fabriquer : le star-system. L'historienne du cinéma Myriam Juan décrit comment les studios hollywoodiens repèrent, mettent sous contrat, et façonnent leurs stars, comme Greta Garbo et Marlène Dietrich, deux actrices européennes qui arrivent à Hollywood en 1925 et 1930 : "Elles subissent des cures d'amaigrissement, on leur retire des dents pour creuser le[ur] visage, on redessine la ligne de leurs sourcils, on cherche [leur] coiffure et leur style. [...] On les fait travailler leur démarche, on leur apprend à danser. Avec l'arrivée du parlant, on leur fait travailler leur diction. On les prend en main et on invente la vie qu'elles vont raconter pour faire rêver les spectateurs et les spectatrices."
Le constat est sans appel côté français. Pour relancer l’économie du cinéma, il faut des noms qui attirent les spectateurs et spectatrices devant les productions françaises. Des vedettes existent, mais rares sont celles qui jouissent d’une renommée internationale. Ivan Mosjoukine est l’une d’elles. L’acteur d’origine russe triomphe dans les films muets et reçoit des centaines de lettres de fans du monde entier.
La presse, un des rouages majeurs du vedettariat
Il faut attendre le passage du muet au parlant, à partir de 1927, pour renverser la donne. Les foules découvrent la gouaille d’un Jean Gabin ou l’accent méridional d’un Fernandel. Les vedettes françaises se rapprochent par la langue de leur public. Tantôt comique ou séducteur, les profils des vedettes françaises varient et attirent.
Si les vedettes se construisent dans les salles de cinéma, elles sont également façonnées par les journaux. Une vedette, c’est quelqu’un dont la vie privée fascine. Dès 1919, la presse spécialisée dans le cinéma apparaît et entretient l’aura des vedettes. Grâce au genre de l’interview, les journalistes créent de la connivence et un sentiment de proximité avec les vedettes : "Les journalistes [se font] narrateurs. Ils emploient le 'je' et [mettent] en scène l'interview pour pénétrer dans l'appartement de la vedette ou aller dans les studios à [s]a rencontre pendant [un] tournage. Cette mise en scène de l'écriture permet aux lecteurs et lectrices de s'approcher de la vedette, alors qu'ils ne le peuvent pas directement", raconte l'historienne Anne Bléger, qui a co-dirigé avec Myriam Tsikounas La Fabrication des vedettes dans l’entre-deux-guerres : petits arrangements avec la biographie (Presses universitaires de Rennes, 2024). Bien souvent, des arrangements biographiques viennent renforcer l’idéalisation de la vedette.
Dans quelle mesure le vedettariat permet-il de relancer l’économie du cinéma ? Les vedettes françaises sont-elles créées selon le modèle de la star hollywoodienne ? Selon quels procédés la presse spécialisée fabrique-t-elle la célébrité ?
Pour en savoir plus
Anne Bléger est historienne, chercheuse associée au Centre d'histoire du XIXᵉ siècle de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a co-dirigé avec Myriam Tsikounas La Fabrication des vedettes dans l’entre-deux-guerres : petits arrangements avec la biographie (Presses universitaires de Rennes, 2024).
Myriam Juan est historienne, maîtresse de conférences en études cinématographiques à l'Université Caen Normandie et membre de l'Institut universitaire de France. Elle est l'autrice d'une thèse intitulée "'Aurons-nous un jour des stars ?' Une histoire culturelle du vedettariat cinématographique en France (1919-1940)" à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de Pascal Ory, 2014.
Références sonores
Archives INA :
- L'émission "La Tribune de Paris" sur les vedettes, RTF, 26 mai 1948
- L'actrice Musidora à propos du réalisateur Louis Feuillade, 1945
- Le scénariste et réalisateur Jacques Deval à propos des vedettes d'Hollywood, RTF, 13 décembre 1949
- L'actrice Renée Saint-Cyr à propos de la revue Cinémonde, France Culture, 2 août 1999
- L'acteur Fernandel, France Inter, 19 mars 1969
- L'acteur et chanteur Maurice Chevalier, France Inter, 3 décembre 1969
Musique : "Si vous voulez être une vedette", chanson interprétée par Eddy Rasimi, 1949
Générique : "Gendèr" par Makoto San, 2020