Le seul nom d'Angkor projette dans nos esprits un monde dans lequel la richesse des constructions est aussi dense que la forêt qui les accueille. Même si cette forêt semble impénétrable, il n'en va pas de même pour l'histoire qui, elle, est étudiée et sans cesse travaillée.
Et Angkor fut…
À partir du 9ᵉ siècle, les rois khmers s’installent progressivement dans la plaine angkorienne. Le roi Yasovarman Iᵉʳ (889-910) fonde la capitale Yasodharapura et installe pour plusieurs siècles les rois khmers à Angkor. Pour Thierry Zéphir, ingénieur de recherche au musée Guimet à Paris, utiliser "le terme Moyen Âge reviendrait à calquer sur des réalités historiques d'Asie du Sud-Est un système de comput temporel proprement européen [...]. Le nom même d'Angkor a servi à qualifier les grandes articulations historiques [...] entre une période d'apogée économique, politique, et culturelle et celles qui l'encadrent."
Dans la civilisation khmère, Angkor est à la fois la capitale politique du royaume et le centre de l’univers. Construit autour d’un temple-montagne, d’un palais, et d’espaces d’eaux – les barays –, Angkor est à l’image de la cité des dieux. Les recherches archéologiques des dix dernières années montrent qu’Angkor s’étend bien au-delà de ses temples et palais, à l'échelle d'une région entière et ressemble à un gigantesque jardin couvert de végétation. Des voiries, canaux, villages et bassins s'étirent sur des centaines de kilomètres. "Angkor est établi sur une plaine alluvionnaire, très plate", explique l'archéologue Christophe Pottier. "[L]e régime climatique de saison des pluies – où l'on baigne dans l'eau pendant six mois de l'année, suivis de six mois très secs où, à l'inverse, il s'agit de conserver l'eau – a amené les Khmers [...] à aménager les habitats et les sanctuaires sur des terre-pleins artificiels. À Angkor, les temples monumentaux particulièrement spectaculaires sont la partie émergée de l'iceberg. Ces aménagements reposent sur des travaux de terrassement gigantesques, qui se sont accumulés au fil des siècles et qui ont artificialisé le territoire sur une très vaste période."
Installé au sein du Palais royal, le roi khmer possède un pouvoir absolu sur ses sujets ; le fait de régner se dit "manger le royaume" en vieux khmer. Le souverain doit faire de son territoire une réplique du monde divin. S’il n’est pas considéré comme un dieu, il est à la fois maître de l’eau et de la terre, et une mauvaise saison des pluies est le signe d’un mauvais gouvernement.
Un empire prospère
La prospérité de l’Empire khmer est en grande partie due à la sophistication de son système hydraulique. En période de mousson, les barays, grands réservoirs d’eau rectangulaires, permettent de prévenir les inondations. Le succès de l’Empire repose aussi sur la captation de richesses du territoire : réservoir de poissons du lac Tonlé Sap, mines de cuivre et de fer au nord du pays. Situé entre l’Inde et la Chine, l’Empire khmer est un territoire ouvert au commerce extérieur, avec l’Empire chinois notamment. L’or, l’argent, les épices, la céramique chinoise, ou les produits de pharmacopée sont très prisés par la population khmère. À l’inverse, les perles, le camphre, l’ivoire et les cornes de rhinocéros cambodgiennes sont appréciés des marchands chinois.Les relations avec l’extérieur sont aussi diplomatiques. En 1296-1297, le savant lettré Zhou Daguan accompagne une ambassade chinoise au Cambodge. Le récit qu’il fait de son voyage, le Mémoire sur les coutumes du Cambodge, dresse un tableau précis de la vie quotidienne de l’Empire khmer. La description faite par le voyageur chinois est celle d’un royaume qui étonne par la monumentalité de ses édifices.
Jayavarman VII, le nouveau visage de l’Empire khmer
L’Empire khmer atteint son extension maximale sous le règne de Jayavarman VII (1181-1218). À cette date, l’Empire khmer inclut le centre et sud du Vietnam, une grande partie du Laos et de la Thaïlande, et a un impact jusqu’en Birmanie et dans la péninsule malaise. Très représenté dans la statuaire khmère, le roi Jayavarman VII réussit à repousser les Chams de son royaume et à imposer le bouddhisme comme religion d’État. Sous son règne, de nombreux édifices sont construits : temple du Bayon, temple de Preah Khan, temple de Ta Prohm. Certaines inscriptions mentionnent également la construction d’une centaine d’hôpitaux, de nouvelles communications terrestres – ponts et routes. Les épouses à la cour du roi sont des femmes extrêmement éduquées. L’une d'elle, Indradevi, est une femme savante et bouddhiste, qui consacre une grande partie de sa vie à l’instruction des femmes. Pour se défendre de futures agressions extérieures, Jayavarman VII décide de bâtir Angkor Thom, ville fortifiée entourée d’une enceinte carrée de trois kilomètres de côté. Protégée par les divinités, Angkor Thom est à l’image de la cité céleste où réside le Bouddha suprême.
Pour en savoir plus
Hedwige Multzer O'Naghten est docteure en langues, civilisations et sociétés orientales.
Ses publications :
- Angkor, le quotidien du roi, Les Belles Lettres, 2023
- Les Temples du Cambodge. Architecture et espace sacré, Geuthner, 2000
Christophe Pottier est architecte et archéologue, maître de conférences à l'École française d'Extrême-Orient (EFEO).
Thierry Zéphir est ingénieur de recherche au musée Guimet, chargé des collections de la section "Monde himalayen". Il est co-commissaire de l’exposition "Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin" du 30 avril au 8 septembre 2025 au musée Guimet à Paris.
Ses publications :
- Bouddha, la légende dorée, Lienart éditions, 2019
- L’Empire des rois khmers, Gallimard, 1997
Références sonores
- Archive de l'émission "La merveille du Cambodge : Angkor-vat", RTF, 28 février 1948
- Archive de l'archéologue Bernard-Philippe Groslier à propos des temples montagnes, France Inter, 19 août 1968
- Lecture par Raphaël Laloum d'un extrait de Mémoire sur les coutumes du Cambodge de Zhou Daguan, fin du 13ᵉ siècle
- Archive de l'émission "Heure de culture française", RTF, 20 mai 1958
- Archive de l'écrivaine Makhali-Phâl, RTF, 30 janvier 1951
- Générique : "Gendèr" par Makoto San, 2020