Quel étrange personnage que le ou la communaliste, qui prône l'autonomie des communes (l’autonomie par rapport à quoi d’ailleurs ?) ! Le mot "communalisme" nous permet de voyager du Kurdistan au Chiapas. Il se réfère à la Commune de Paris, bien sûr, et à toutes celles apparentées, partout en France. C'est une histoire très commune et pas commune !
Le modèle de la Commune de Paris
Entre le 18 mars et le 28 mai 1871, la ville de Paris est le lieu d’un épisode révolutionnaire. Les partisans de la Commune défendent la décentralisation des prérogatives politiques et l’autonomie de la commune de Paris à travers l’institution d’un conseil communal. Certains communards, proches de la pensée fédéraliste de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), soutiennent l’extension de ces principes à un ensemble de communes qui seraient libres de se fédérer entre elles, indépendamment de toute structure étatique. Les Communards et Communardes défendent également la mise en œuvre d’une économie autogérée et un projet de redistribution des richesses, nourri du socialisme et du mouvement coopératif.
La Commune de Paris est brutalement réprimée à l’issue de la "semaine sanglante" de mai 1871, après 72 jours d’existence. Son projet politique et social n’est esquissé que brièvement. Pour autant, cette expérience apparaît comme une matrice pour un ensemble de mouvements politiques et sociaux alternatifs postérieurs. Elle est largement commentée par des penseurs et penseuses anarchistes ou marxistes, qui soulignent les innovations de cette expérience insurrectionnelle communale. Ces réflexions glosent sur ce que la Commune aurait pu être si elle n’avait pas été si rapidement réprimée et participent à la construction d’une mémoire mythifiée qui retient les principes de démocratie directe – par opposition à la démocratie représentative – et d’autogestion. "Dans l'idée de commune, il y a la dimension du munus, [qui signifie] étymologiquement à la fois le don et la charge", développe le sociologue Pierre Sauvêtre. "L'idée de réciprocité et de mutualité est présente dans le terme de commune : on agit collectivement et les uns envers les autres."
S'ajoute à cette définition une réflexion sur la notion de domination, comme le souligne Killian Martin, doctorant en sociologie sur le municipalisme en France : "Ce qui unit l'idée de commune, c'est une qualité des relations qui vise à une neutralisation des dominations. Cela prend différentes formes en fonction du contexte institutionnel d'établissement de la commune."
Murray Bookchin et le "municipalisme libertaire"
À la fin du 20e siècle, le philosophe et militant états-unien Murray Bookchin (1921-2006), réinvestit cette pensée et propose une histoire des initiatives communales. Il reprend les principes du communalisme et propose le concept de "municipalisme libertaire" comme dépassement de l’anarchisme, qui défend l’abolition de toute structure étatique, et du marxisme. Il s’agirait pour lui d’instaurer des pouvoirs municipaux autonomes qui pourraient ensuite se confédérer. Il adjoint une dimension écologique à ce projet : la lutte environnementale contre le capitalisme est consubstantielle de la mise en œuvre d’une démocratie directe et sociale. Selon Pierre Sauvêtre, auteur de Murray Bookchin ou l'objectif communocène. Écologie sociale et libération planétaire (Éditions de l’Atelier, 2024), l'écologie sociale de Murray Bookchin repose sur l'idée que la société elle-même devrait être organisée de manière écologique : "Bookchin dit que l'écologie, c'est l'unité dans la diversité. Les plantes et les animaux, dans leur fonctionnement, ne sont pas hiérarchiques. Ils s'assemblent pour former des écosystèmes et fonctionnent sur la base d'une forme d'aide mutuelle. De ce point de vue, l'écologie peut être un modèle pour les relations humaines."
Le communalisme au présent
Par la médiation de Bookchin, des mouvements contemporains se réapproprient cette histoire. Au Mexique, le zapatisme, sans faire référence nommément au communalisme, met en place cette forme de gouvernance, autonome sur le plan économique et politique, et fait la démonstration que le communalisme n'est pas un localisme, comme l'explique Pierre Sauvêtre : "Cela part d'un échelon local et cela se développe à l'échelle d'une nation", sans être un État-nation. "Dans le zapatisme, la communauté villageoise est le premier échelon. La commune, ensuite, est dotée d'un conseil municipal autonome et regroupe un chef-lieu et plusieurs dizaines de villages. Il y a enfin les grandes régions, appelées les zones. L'échelonnement fédéral est très important." L'expérience zapatiste au Chiapas joue un rôle central pour exposer sur la scène internationale la perspective communaliste.
Sur son terrain de recherche, Killian Martin observe également que le Chiapas sert de modèle en matière de place des femmes : "C'est une des premières révolutions communalistes à avoir théorisé et mis en pratique une lutte contre le patriarcat, organisée avec des assemblées de femmes. Elles préfigurent celles qui ont lieu au Kurdistan." À cet égard, l’expérience autonomiste du Rojava, au Kurdistan, est directement nourrie du communalisme. Au début des années 2000, Abdullah Öcalan, le leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), entretient une correspondance avec Murray Bookchin.
Pour en savoir plus
Killian Martin est doctorant en sociologie à l’Université de Lille. Il prépare une thèse sous la direction de Paula Cossart et Marion Carrel sur les stratégies communalistes en France : "Théorie et pratique du communalisme et du municipalisme en France".
Pierre Sauvêtre est maître de conférences en sociologie à l’Université Paris Nanterre.
Ses publications :
- Murray Bookchin ou l'objectif communocène. Écologie sociale et libération planétaire, Éditions de l’Atelier, 2024
- Foucault, Ellipses, 2017
Références sonores
- Extrait du film La Commune (Paris, 1871) de Peter Watkins, 2000
- Archive de Murray Bookchin, France Culture, 31 octobre 1984
- Lecture par Thomas Beau d'un extrait de l'Étude sur le mouvement communaliste à Paris en 1871 de Gustave Lefrançais, publié à Paris en 1871
- Reportage d'Omar Ouahmane sur le PKK au Kurdistan iranien, France Inter, 2 novembre 2007
Musique :
- "Elle n'est pas morte !", chanson écrite par Eugène Pottier en 1886 et interprétée par Germaine Montero en 1967
- "México Insurgente", chanson d'Ismael Serrano, 1997
- "Au p'tit bal de la mairie", chanson interprétée par Tohama
- Générique : "Gendèr" par Makoto San, 2020