Syracuse

À l’heure où l’incrimination de génocide revient au cœur du débat public, il y a une région du monde dont on parle peu, celle du Xinjiang et du traitement par les autorités chinoises des populations ouïghoures et des autres minorités musulmanes qui y vivent. Aucune juridiction internationale ne s’est prononcée sur cette qualification en raison notamment de la puissance croissante de la Chine.

Cependant, par une décision du 9 décembre 2021, un tribunal a démontré que les politiques menées par la République populaire de Chine dans cette région contre les populations ouïghoures et les autres minorités musulmanes relevaient d’un génocide en vertu de l’article II d de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il a visé, entre autres choses, les « mesures visant à entraver les naissances » de nature selon lui à entraîner une destruction partielle substantielle du groupe en tant que tel.

Mais quel était cette juridiction ? Un tribunal d’opinion composé d’un jury de 7 membres, dont l’idée avait été lancée par une ONG, présidé par sir Geoffrey Nice, le barrister britannique qui avait soutenu l’accusation dans le procès contre Milosevic, qui fut assisté d’un autre grand juriste, Hamid Sabi. Bien sûr, sa décision n’a aucune valeur juridique contraignante puisqu’il ne s’agissait pas d’une institution officielle et que par conséquent les autorités chinoises ne purent (ni ne voulurent) défendre leur point de vue. Néanmoins, il fit un véritable travail de justice en observant une procédure très proche d’une juridiction internationale et en entendant publiquement nombre de témoins et d’experts. Cloé Drieu nous explique "il y a très peu de témoins qui acceptent de parler publiquement, ils sont une quinzaine en Europe. C'est un poids énorme sur les épaules des victimes et des témoins d'expliquer ce qu'il s'est passé, on peut parler de sacrifice testimonial. Beaucoup, notamment des femmes qui l'expriment clairement durant les audiences, témoignent pour celles qui sont restées internées en région Ouïghour et qui n'ont pas la chance de pouvoir parler. Je pense à une femme qui a dit qu'elle témoignait pour les morts, pour les neuf femmes qu'elle a vues décéder pendant sa détention, et pour son enfant, qui est décédé lui aussi. Sachant que l'essentiel des femmes qui peuvent sortir sont celles qui sont mariées à des hommes étrangers, soit égyptiens, soit pakistanais. Elles ont, au sortir de détention, la possibilité de quitter de Chine et de témoigner. Cependant, elles restent en insécurité, y compris dans les pays occidentaux". L'objectif du Tribunal n’était pas de prononcer des condamnations mais de réunir des preuves et ainsi de produire des connaissances publiques et de sensibiliser l’opinion internationale. Ces objectifs furent atteints.

Pour aller plus loin

• Présentation de Cloé Drieu sur la page du Cespra/Ehess
• Sous la direction de Cloé Drieu, Claire Mouradjan, Alexandre Toumarkine : Le front caucasien. Enjeux d’empires et de nations, 1914-1922 (CNRS éditions, 2024)
• Tribunal Ouïghour : justice citoyenne et sciences sociales (Politika, 2022)
• Article de Cloé Drieu "Tribunal Ouïghour : génocide et entrave aux naissances" (AOC, 30/06/2022)
• Björn Alpermann: Le Xinjiang – la Chine et les Ouïghours (Würzburg, 2022)
• Laurence Defranoux : Les Ouïghours : histoire d'un peuple sacrifié (coll. Texto, Tallandier, 2025)
• Les Ouïghours, un peuple qui refuse de mourir, scénario Eric Darbré, dessins Eliot Franques (MARAbulles, 2022)
• « Les tribunaux d’opinion face à l’impunité des violences de masse : une scène pseudo-judiciaire, entre droit et sciences sociales », par Camille Montavon (maitre-assistante, université de Genève), podcast issu du séminaire organisé par l'EHESS et l'IFJD, 16/07/2024
• Vidéos du Tribunal ouïghour (en anglais), Church House, Westminster, 4 au 7 juin 2021
• Shahit.biz, base de données sur les victimes détenu(e)s au Xinjiang (en anglais)

Références musicales

• Holy is the true light, par William Harris, The Cambridge Singers, dirigé par John Rutter
• Ana Yurt, par Ablajan Sawut Ayup