Malgré 26 années passées derrière les barreaux, malgré l’isolement quasi-total auquel il se trouve contraint depuis 2021, Abdullah Öcalan reste le leader incontesté de la cause kurde. Le fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a longtemps mené la lutte armée fusil au poing. Il l’a intellectualisée, théorisée, dogmatisée, en créant des centres académiques censés former une nouvelle génération de Kurdes éveillés et prêts à servir la cause. Il l’a aussi monopolisée, cannibalisée diraient certains, érigeant le culte de la personnalité et le centralisme en outils d’une domination politique et idéologique sans partage. Près d’un demi-siècle durant, Abdullah Öcalan a créé les conditions d’une aventure politique dont il est resté le seul héros même depuis la prison d’Imrali, petit éperon rocheux de la mer de Marmara où il croupit depuis 1999 sous la surveillance d’un millier de soldats.
Malgré l’éloignement, malgré l’isolement, malgré l’absence de dialogue avec ses lieutenants cachés dans les montagnes de Qandil, Abdullah Öcalan a vu son aura alimentée par son statut de martyr. Cette aura lui assure le soutien d’une bonne partie des 20 millions de Kurdes de Turquie et l’a autorisé à prendre une décision sans précédent le 27 février dernier. Dans une lettre adressée aux membres du PKK, il a annoncé la dissolution de l’organisation classée comme terroriste par Ankara. Une révolution pour les équilibres en Turquie et pour toute la région, d’abord parce que Recep Tayyip Erdoğan et avec lui tous les islamo-nationalistes turcs désignaient jusqu’ici le PKK comme la menace existentielle numéro un pour le pays. Et ensuite parce que le possible retour à la paix civile totale pourrait alléger la pression exercée par l’État turc sur les Kurdes de Syrie ou d’Irak.
Focus : Huda Par, l’allié kurde d’Erdogan
Avec Ariane Bonzon, journaliste indépendante et grande reporter
En Turquie, les organisations politiques kurdes ne se résument pas au PKK et au Parti de l'égalité et de la démocratie des peuples (DEM), incarnation de la gauche laïque. Ces derniers sont même historiquement concurrencés par un courant plus religieux, qui a longtemps mené une contre-guérilla et qui s’est aujourd’hui reconverti sous la forme d’un parti politique, Huda Par, tellement bien implanté qu’il appartient aujourd’hui à la coalition gouvernementale.
Pour aller plus loin :
- Ahmet Insel est le co-auteur de Le national-capitalisme autoritaire, une menace pour la démocratie (éditions Bleu autour, 2021)
- Hardy Mède a contribué à l'ouvrage collectif Le Gouvernement des Kurdes Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs, dirigé par Gilles Dorronsoro (éditions Karthala, 2023)
- Ariane Bonzon est l'autrice de Turquie, l’heure de vérité (éditions Empreintes, 2019)
Références sonores :
- Lecture de la déclaration d’Abdullah Öcalan par Pervin Buldan, députée du parti pro-kurde de l'égalité et de la démocratie des peuples (DEM) TV Monde, 28 février 2025
- Le président turc Recep Tayyip Erdoğan se dit ouvert à la négociation avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mais se dit également toujours prêt à réprimer la révolte kurde si besoin - Al-Jazeera, 2 mars 2025
- Le leader du Parti d'action nationaliste (MHP) et allié d'Erdoğan, Devlet Bahçeli, appelle à la venue d’Öcalan au Parlement - YurttasTV, 22 octobre 2024
- Abdullah Öcalan explique que sa mission se rapproche de celle du prophète tout en se défendant d’en être un lui-même - Journeyman Pictures, 1998
- Enthousiasme et incompréhension chez les Kurdes de Dyarbakir après l’annonce d’Öcalan - France 24, 28 février 2025
- Mazloum Abdi, commandant en chef des Forces Démocratiques Syriennne (FDS), largement composées de Kurdes de Syrie, se réjouit de la dissolution du PKK mais refuse de rendre les armes - France 24, 28 février 2025
- Chanson : Adamlar - "Hayret" (2023)