Le raï algérien est entré au patrimoine immatériel mondial de l’Unesco en décembre 2022, après qu’une candidature a été posée par le ministère de la Culture algérien. Pourtant, ce genre populaire, longtemps décrié pour sa vulgarité, n’y était pas prédestiné. Né dans la région d’Oran, dans l’ouest algérien, au début du XXe siècle, ce style musical a été progressivement adopté dans toute l’Algérie en s’adaptant aux différentes évolutions musicales au fil des générations, devenant petit à petit le genre national algérien le plus emblématique. Ses chansons aux paroles souvent sulfureuses et subversives, sans être pour autant directement politiques ou critiques du pouvoir, décrivent l’Algérie et ses habitants de façon crue, en évoquant l’amour toxique, le sexe, ou encore l’alcool et les drogues. Elles lui ont valu d'être dévalorisé par les autorités et les élites, lui préférant la musique arabo-andalouse ou le chaâbi, plus sages.
Pourtant à partir de la deuxième moitié des années 1980, les autorités algériennes, alors dans une période d'ouverture et de libéralisation, ont promu des artistes raï à l'international, au premier rang desquels Cheb Khaled, dans l’objectif de renouer avec la jeunesse et d’exporter la culture algérienne. C’est à cette époque que le genre obtient une certaine reconnaissance, en Algérie et dans le monde. Mais cette reconnaissance reste surtout populaire, avec notamment des icônes comme Cheb Hasni, assassiné durant la décennie noire et véritable représentant des épreuves de tout un peuple pour continuer à aimer et à vivre dans une période terriblement sombre. Aujourd’hui le genre est toujours dynamique et populaire, avec l’introduction de nouvelles technologies et manières de chanter, qui peuvent certes diviser, comme l’auto-tune, mais qui maintiennent le raï sur le devant de la scène et lui permettent de rester le style musical algérien par excellence. Ses artistes sont d’ailleurs loués et promus par les autorités algériennes, notamment pour les évènements et concerts à l’étranger, même si certaines de leurs chansons ne peuvent passer à la radio du fait des thèmes abordés.
Focus : Min Djibalina, une chanson emblématique de la résistance algérienne au pouvoir colonial
Avec Raphaëlle Branche, historienne à l'université de Paris-Nanterre et membre de l'Institut des Sciences Sociales du Politique
Min Djibalina (“De nos montagnes”), écrit par Mohamed Laïd Al-Khalifa, est une chanson de maquisards algériens en lutte contre la France. Ce chant patriotique anticolonial est très populaire en Algérie ; il est autant, voire davantage connu que l’hymne national Kassaman. Pourtant, il est chanté sur un air français, appris par les Algériens à l’école et durant leur service militaire, laissant transparaître une histoire coloniale.
Références sonores :
- Chanson 1 : Cheb Hasni, Chtkit Ou melit (1988)
- Un Oranais évoque la portée de la musique de Cheb Hasni - Arte, 15 février 2023
- Alejandro Alvarez, coordinateur résident des Nations Unies en Algérie, s'exprime sur l’entrée du raï au patrimoine immatériel mondial de l’UNESCO - AL24News, 27 avril 2023
- L'artiste de raï Sofiane Saidi sur le lien entre raï et la politique, France 24, 2 décembre 2022
- Cheb Hindi déplore l'usage de l'auto-tune dans le raï - Arte, 15 février 2023
- Chanson 2 : Cheba Djenet - "Matjebdoulich" (1997)
- Chanson 3 : Cheb Khaled - “La Camel” (1988)
- Chanson 4 : Cheikha Rimitti - "Nouar" (2000)
- Cheb Khaled s'exprime sur le raï, et notamment l’assassinat de Cheb Hasni, France Culture, 21 février 2024
- Chanson 5 : Cheb Hasni - "Tal Ghyabek Ya Ghzali" (1992)
- Chanson 6 : Kader Japonais - "Hiya" (2024)
- Chanson 7 : Mohamed Laïd Al-Khalifa - "Min Djibalina" (paroles de 1931, musique de 1942)
- Chanson 8 : Soolking feat. Ouled El Bahdja - "Liberté" (2019)