Après avoir adapté des textes de Virginia Woolf dans Écrire sa vie, puis L'Iliade et l'Odyssée d'Homère, Une chanson douce de Leïla Slimani et joué le seul en scène Clouée au sol de Georges Brant, la metteuse en scène, dramaturge, comédienne et directrice du Théâtre Public de Montreuil, Pauline Bayle reprend sa mise en scène d'Illusions perdues de Balzac au Théâtre de l'Atelier jusqu'au 6 octobre, puis en tournée dans plusieurs villes. La douée, ayant fait ses études à Sciences-Po puis au Conservatoire, a créé sa compagnie À tire-d'aile en 2011, alors qu'elle était encore étudiante.
C'est elle qui a donné envie à Eva Bester de relire L'Iliade l'année dernière en donnant à voir un joyeux chaos didactique mêlant guerriers humains et dieux de l'Olympe. L'occasion de se souvenir qu'Achille, bien que connu pour son talent et surtout l'un des personnages de fiction les plus en colère qui soit. Pauline Bayle ne craint pas de s'attaquer aux monuments littéraires. Pour le chef-d'œuvre de Balzac, roman de 700 pages comptant plus de 70 personnages, elle confie à 100 comédiens l'incarnation de 18 rôles.
En mars 2025, Pauline Bayle mettra en scène l'opéra 7 Minuti de Giorgio Battistelli à l'Opéra de Lyon, sous la direction musicale de Miguel Pérez Iñesta.
La manière de raconter les mythes se réinvente sans cesse
Pauline Bayle adapte de grandes œuvres de plusieurs siècles comme l'Iliade et l'Odyssée : « Je crois que l'humanité n'a pas changé d’un iota, et que finalement, c'est aussi pour ça que je fais ça. La manière de raconter les mythes évolue, se réinvente sans cesse, mais leur force est de ne pas avoir pris une ride. »
Sa découverte de Balzac
Pauline Bayle a adapté et mis en scène Illusions perdues en 2020. Elle a fait la rencontre avec l’œuvre d’Honoré de Balzac quand elle était encore collégienne : « Comme beaucoup de gens, je l’ai découvert avec des livres comme Le Père Goriot. Au collège, la lecture commençait à prendre une place très importante dans ma vie. Je me souviens que je séchais mes cours de natation, j’allais me mouiller les cheveux et je restais lire dans la cabine. J’aimais bien lire des livres difficiles d’accès, et donc forcément, j’ai adoré Balzac. Il y a quelque chose qui m'a tout de suite harponnée dans la complexité de son œuvre. Illusions perdues, je l’ai lu plus tard. Un de mes amoureux qui s’appelait Lucien, comme le héros du livre, me l’avait offert. »
Se protéger du regard des autres
Pour son adaptation, Pauline Bayle a mis une partie du public sur la scène et c'est comme un télescopage d'à peu près tous les siècles à Paris ; la cour du roi, le jugement et le regard permanent des autres sur les personnages principaux : « C’est impossible d'échapper au regard et au jugement d'autrui, on n'existe qu’à travers le regard des autres et ce que les autres disent de nous. Et ça, ce n’est pas bon pour la création. En tout cas, pour ma part, j'ai besoin de me protéger du regard d'autrui et du jugement. Je ne lis pas les critiques, je ne suis sur aucun réseau social. Je me tiens même éloignée d’Internet, c’est un monde trop bruyant pour moi. Déjà que mon ordinateur me fait paniquer parce que la quantité d'informations que je prends juste en lisant des livres, en allant voir des films, en discutant avec des gens, en travaillant est déjà énorme. Alors si en plus je rajoute le champ des possibles d'Internet, je me noie dans la parole des autres. »
Des points communs entre le Paris de Balzac et celui d'aujourd'hui
Pauline Bayle tisse dans sa mise en scène de nombreux points communs entre le Paris d’aujourd’hui et celui des Illusions Perdues : « C’est une œuvre qui est comme une cavalcade, une valse qui ne s’arrête pas. C’est un élément auquel je me suis attachée pour la mise en scène. Le fait que les comédiens soient pris dans une ronde qui n’en finit jamais. J’ai eu la chance de partir de Paris cet été. Quand j’y reviens, je suis comme submergée, cette ville me séduit, mais elle me terrifie aussi. Pour moi, Paris, c’est le film On achève bien les chevaux, c’est un marathon. Si on est en forme, c’est une ville géniale, mais si on est plus fragile, il faut trouver des moyens de se protéger parce que c’est une ville brutale. »
Pour en savoir plus, écoutez l'émission…
La mise en scène de Pauline Bayle Illusions perdues, adaptée du roman de Balzac, est au théâtre de l'Atelier (Paris) jusqu'au 6 octobre. Les réservations sont encore possibles en cliquant ici . Elle sera également en tournée à Genève, Sablé-sur-Sarthe, Auxerre et Dieppe cette saison.
Extraits diffusés :
Nous entendons un extrait des Affranchis (1990), film réalisé par Martin Scorsese et qui a inspiré Pauline Bayle par la façon qu'il a de représenter la pègre. La voix de György Lukács enregistrée en 1970 parvient ensuite à nos oreilles ; le philosophe hongrois a publié l’essai Balzac et le réalisme français en 1999. Pauline Bayle a pour habitude d'écouter Bach en travaillant, musique dans laquelle elle trouve l'équilibre parfait entre précision, rigueur et émotion ; nous entendons donc un extrait de la Passion selon Saint-Jean, par l'Orchestre baroque norvégien, sous la direction de Julian Podger, avec la voix de la mezzo-soprano Catherine King. Le travail de la directrice du Théâtre Public de Montreuil, qui a mis en scène l'Orfeo de Monteverdi en 2021 — dont nous entendons un extrait par le Concert des nations sous la direction de Jordi Savall, avec la mezzo-soprano Lucia Mancini — présente également beaucoup de porosités avec le monde de l'opéra : Pauline Bayle participera en 2025 à la création de 7 minuti de Giorgio Battistelli à l'Opéra de Lyon. Enfin, Alain Françon, l'une des références de Pauline Bayle en matière de mise en scène, est interviewé par Savannah Macé en 2018.
Choix musical de l'invitée :
Pauline Bayle nous fait écouter Béguin de Bonnie Banane, artiste avec laquelle elle était au Conservatoire.
Découverte de l'invitée :
La metteuse en scène Pauline Bayle a découvert il y a plus d'un an, à l'occasion d'une rétrospective, le film de Nelly Kaplan La fiancée du pirate (1969). Bernadette Lafont y incarne un "personnage féminin qui vit à la marge et ne va pas rentrer dans le rang".
Programmation musicale :
Clara Ysé - Les rois du désespoir
Tems - Burning