En 2019, l'écrivain Jean-Claude Grumberg publiait La plus précieuse des marchandises. L'histoire que raconte ce conte est celle d'un couple de pauvres bûcherons qui recueille, au pire de la Seconde Guerre mondiale, une marchandise tombée d'un train. Cette marchandise, c'est un nourrisson que le père décide d'abandonner alors que toute la famille se dirige vers le camp d'Auschwitz. Michel Hazanavicius, que l'on découvre dessinateur, adapte cette histoire dans un film d'animation qui sort en salles le 20 novembre, avec les voix de Dominique Blanc, Jean-Louis Trintignant, Grégory Gadebois et Denis Podalydès.
Pour sa carte blanche, c'est en toute logique que Michel Hazanavicius a souhaité convier Jean-Claude Grumberg et Patrick Sobelman, le producteur du film.
De cinéma, il sera encore question avec Pascale Ferran, réalisatrice et fondatrice de LaCinetek, la cinémathèque des cinéastes.
Puis, nous passerons d’une génération de cinéastes à une autre en compagnie de Martin Jauvat, réalisateur de Grand Paris (2022) et qui signera en 2025 le film Baise-en-ville, au générique duquel figure Michel Hazanavicius.
S'affranchir des registres, tourner à l'instinct : la recette Hazanavicius
Michel Hazanavicius est de ces cinéastes capables de faire avec le même sérieux, avec la même intensité, une grande comédie populaire et un film de guerre, une comédie gore et aujourd’hui un film d’animation traitant de la Shoah. Qu’est-ce qui le décide de faire tel film après tel autre ? Pour le réalisateur, comprendre ses propres choix n'est pas évident, tout marche au désir. Un désir qui dépend parfois de la réception du précédent film ou parfois d'un texte dont la lecture vient percuter les plans... En clair, c'est avant tout une affaire d'instinct et d'instant : "les films ressemblent à qui j'étais au moment où je les ai faits", résume-t-il.
Dès son premier film en effet, Mes amis (1999), drôle et malaisant à fois, le réalisateur s'affranchissait des registres et ne voulait pas choisir la facilité d'un genre. Reste que le film ne connut pas un grand succès. Sept années séparent ce premier opus de son second, OSS 117. Le Caire, nid d’espions, qui fut quant à lui largement plébiscité. "L'avantage quand on commence par rater, c'est qu'on comprend qu'il faut travailler plus, ou faire autre chose. Moi, j'ai décidé de m'acharner", confie-t-il.
Cinéaste éclectique donc, on le découvre aujourd'hui également dessinateur, puisque c'est avec un film d'animation qu'il revient dans les salles obscures. Quelle place occupe le dessin dans sa vie ? "Ça reste dans les sphères de l'intimité, je n'ai jamais cherché à marchandiser cette pratique. Ça m'équilibre comme de la méditation, j'ai toujours sur moi le matériel pour." C'est donc la première fois que le réalisateur use de son art du crayon dans le cadre du cinéma.
"La plus précieuse des marchandises" : du livre à l'écran, récit d'une adaptation
Jean-Claude Grumberg est l'auteur de La plus précieuse des marchandises dont est adapté le film de Michel Hazanavicius. Un conte sur fond de Seconde Guerre mondiale, que l'écrivain a connue de près. Né quelques semaines avant le début du conflit, dans une famille juive ashkénaze, il est âgé de moins de trois ans lorsqu'il échappe à la déportation avec sa mère et son frère. Son père est quant à lui arrêté une première fois, libéré, puis de nouveau arrêté, interné à Drancy puis déporté et assassiné à Auschwitz. En 1943, sa mère fait appel à l’Organisation juive de secours aux enfants pour que ses deux fils passent en zone libre sous de fausses identités et se cachent. Ce sera d’abord à Moissac, puis à La Grave, dans l’Isère. À la fin de la guerre, sa mère vient le chercher à Moissac, mais ils se retrouvent finalement à Paris.
La vie de Jean-Claude Grumberg est donc marquée par la Shoah. Il faut toutefois attendre la pièce Chez Pierrot, écrite d’une traite après la perte de son bébé âgé de quatre mois, pour que l'écrivain découvre véritablement que l’écriture est un moyen d’expression qui lui permet d'explorer les traumas individuels et collectifs. Depuis cette pièce en effet, l'écrivain n'a cessé de traiter des sujets qui le touchent au plus près, parmi lesquels la douleur du peuple juif, dont se fait l'écho La plus précieuse des marchandises, paru aux éditions du Seuil, dans la collection La Librairie du XXIe siècle dirigée par Maurice Olender.
Mais comment ce conte est-il passé de la page à l'écran ? C'est Jean-Claude Grumberg lui-même qui a suggéré au producteur Patrick Sobelman de confier la réalisation du film à Michel Hazanavicius, qui est un grand dessinateur et par ailleurs un ami de longue date de l'écrivain. Si cette amitié a pu jouer dans l'accord du cinéaste, c'est avant tout le texte en lui-même qui l'a convaincu. À ses yeux, "l'univers du conte élève l'histoire à quelque chose d'universel". Surtout, il a trouvé ce récit "totalement adaptable" au cinéma. Le travail préparatoire pour trouver le graphisme des personnages ne fut toutefois pas évident, nous raconte-t-il. Pour la bûcheronne par exemple, Michel Hazanavicius s'est inspiré d'Anna Magnani, actrice italienne qui est à ses yeux souvent plus belle à la fin des films qu'au début.
Pascale Ferran, le cinéma en partage
Pascale Ferran est une cinéaste rare. Cela presque dix ans que l’on attend le long-métrage qui succèdera à Bird people, qui est donc son dernier film en date. Il faudra toutefois patienter, car la réalisatrice nous confie faire face à "déficit de désir". En cause, entre autres, l'adversité du métier, que Michel Hazanavicius relativise, mais que Pascale Ferran juge pour sa part parfois ardue à affronter. Sans doute cela l'a-t-il encouragé à poursuivre tout au long de sa carrière un grand engagement envers l’ensemble du système de fonctionnement du cinéma français. On se souvient notamment de son discours lors des Césars 2007, sur la situation de crise que traversait alors déjà le cinéma d'auteur français ; sur la précarisation des intermittents du spectacle, mais aussi sur le système de financement du cinéma français. Autant de difficultés qui l'ont incitée à créer le Club des 13 avec des acteurs du monde du cinéma aux intérêts pas forcément convergents. Toujours dans le collégial, elle a été nommée en septembre 2023 Présidente de la commission du soutien au scénario.
Le goût du cinéma, Pascale Ferran a aussi l’envie et l’idée de le partager autrement. Avec Cédric Klapisch et le regretté Laurent Cantet, elle a imaginé LaCinetek, une plateforme de vidéo à la demande qui regroupe les listes des films préférés de réalisateurs et réalisatrices du monde entier, de toutes générations. Il fonctionne comme un ciné-club, avec la possibilité de louer ou d’acheter des films à l’unité, soit sous forme d’un abonnement composé de sélections de films régulièrement renouvelées. Pour Pascale Ferran, LaCinetek est née d'une utopie, d'un "rêve de cinéastes entre eux qui se disent en fumant une cigarette sur un bout de trottoir que c'est incroyable qu'il n'existe pas un endroit où tous les films du monde sont accessibles". Pour répondre à ce besoin, partagé par toutes les personnes qui font des films, les aiment ou les défendent, le projet voit le jour, alors aidés par une "conjonction de planète". Lancée en novembre 2015 en France, elle est disponible en Allemagne et Autriche depuis février 2019, et en Belgique et au Luxembourg depuis 2020, et propose plus de 2 000 films du début de l'histoire du cinéma jusqu'en 2010, limite temporelle qui a évolué, depuis. Pour autant, LaCinetek conserve "quelque chose de très artisanal", estime Pascale Ferran.
Aux yeux de Michel Hazanavicius, fan de la première heure, LaCinetek est "une petite bijouterie". Contrairement à l'image patrimoniale poussiéreuse dont peut souffrir la plateforme, "il y a quelque chose de très joyeux et ludique à s'y abandonner", estime-t-il : "y aller, c'est s'offrir des shoots de plaisir à chaque fois".
D'une génération de cinéaste à l'autre
Michel Hazanavicius a beaucoup aimé Grand Paris de Martin Jauvat, un "buddy movie" en banlieue parisienne qui l'a impressionné pour sa très riche "palette de vocabulaire". Impatient de voir la suite, Hazanavicius peut l'être puisqu'il a joué dans son prochain film, Baise en ville, en salles en 2025. Plus précisément, c'est le rôle du père que lui a confié Martin Jauvat, un choix dont la symbolique est toute trouvée. Diriger son aîné fut par ailleurs instinctif pour Martin Jauvat !
Plus d'information sur son actualité :
- La plus précieuse des marchandises, réalisé par Michel Hazanavicius sort en salles le 20 novembre. Avec les voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Denis Podalydès, Grégory Gadebois.
- Une nouvelle édition du conte de Jean-Claude Grumberg sort aux éditions du Seuil le 8 novembre, avec des illustrations de Michel Hazanavicius
- Michel Hazanavicius fera paraître un livre de témoignage et de dessins, Carnets d'Ukraine : instantanés du front ukrainien, le 20 février 2025 aux éditions Allary.