Dans son livre Vichy et l'éternel féminin, Francine Muel-Dreyfus a montré que le régime de Vichy avait construit son idéologie en mobilisant des représentations des femmes dont le but était d'exalter la supériorité de la race française. L'un des arguments le plus efficaces pour populariser ce type de discours fut d'attribuer la défaite militaire face à l'Allemagne comme un juste châtiment consécutif au relâchement physique et moral des Français. Leur esprit de jouissance, aggravé par l'anarchie et le laxisme du Front populaire, aurait détourné les femmes de leur rôle de mère, entraînant ainsi la chute du nombre des naissances. L’oubli par les femmes de leur fonction reproductrice expliquerait la multiplication des naturalisations d'immigrés dont le sang n’avait pas la même valeur que celui des Français de souche.
La vision de la femme comme génitrice et sous contrôle du mari
La Révolution nationale, mise en œuvre par le maréchal Pétain, devait permettre l'avènement d'un État nouveau, dans lequel la femme serait assujettie à la famille et à sa fonction de mère. Des mesures répressives furent alors imposées pour mettre concrètement en œuvre ces principes. Parmi elles, on peut citer le durcissement des conditions de divorce ; l'interdiction d’embauche des femmes mariées; la qualification de l’avortement comme "crime contre la sûreté de l’État" ou encore la possibilité pour le ministère public d’engager des poursuites pour adultère à l’encontre des épouses des prisonniers de guerre.
"L’ensemble de ces mesures contribuèrent fortement à l’exclusion des femmes de la sphère publique et à leur réinstallation dans un foyer domestique sous contrôle du mari."
Cette politique fut amplifiée par des mesures favorables aux mères comme la généralisation de l’allocation de mère au foyer, et aussi par une propagande diffusée notamment par voie d'affiche. S'adressant aux maris, l'une d'entre elles disait: "Vos dépenses seront moins lourdes avec la femme au foyer". Une autre visait à flatter l'identité des mères: "Maman, la femme coquette, sans enfant n’a pas de place dans la cité, c’est une inutile. La mère de famille y a son rôle parce qu’elle est compétente, c’est sur ses genoux que se forme ce qu’il y a de plus excellent dans le monde: un honnête homme".
"La promotion de ce modèle maternel se concrétisa aussi le 25 mai 1941 par l’officialisation de "la journée des mères", qui incitait les enfants à la prendre en charge."
Les multiples lettres de jeunes filles adressées au Maréchal Pétain prouvent que cette façon de valoriser une dimension de l'identité féminine rencontra un certain écho dans la société française, car la vision de la femme comme génitrice ne fut pas inventée par Vichy. L'hécatombe de la Première Guerre mondiale avait incité le pouvoir républicain à valoriser le rôle des mères (...)
"Valoriser" le rôle des mères : quelques dates clés
- 1926 : Première cérémonie officielle de la "Journée des mères de familles nombreuses" sous la Troisième République
- 1941 : officialisation de la "journée des mères" sous le Régime de Vichy
- 1950 : Texte de loi instituant la "fête des Mères" sous la IV République
Bibliographie
- Francine Muel-Dreyfus, "Vichy et l’éternel féminin. Contribution à une sociologie politique de l’ordre des corps", Minuit, 1996.
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