On sait que l'interdiction de manger du porc est un point commun entre le judaïsme et l'Islam, ce qui n'est pas le cas dans la religion chrétienne. Pourtant, dans un passage de l'Évangile, il est écrit ceci : "Lorsque Jésus fut descendu à terre, un homme de la ville vint à sa rencontre ; il avait des démons depuis assez longtemps. Jésus ordonna aux démons de sortir de cet homme et d’entrer dans un troupeau de porcs qui paissaient dans la montagne toute proche ; ce qu’ils firent. Tandis que le possédé retrouvait ses esprits et se mettait à prier, les porcs, au nombre d’environ deux mille, se précipitèrent du haut de la montagne dans le lac de Tibériade".
Ce passage de la Bible a beaucoup frappé les hommes du Moyen Âge. Pendant des siècles, il a été repris et commenté par les prédicateurs et les théologiens, contribuant ainsi à faire du porc l’un des attributs de Satan. Cette vision négative fut confortée par l'iconographie et les décors sculptés des églises. Le porc incarna alors l'image stéréotypée du péché ou des hommes pécheurs, se conduisant comme des pourceaux.
La sale réputation du cochon
Pourtant, au Moyen Âge, le cochon occupait une place essentielle dans la consommation de viande. À cette époque, en effet, très peu de paysans élevaient des bovins pour la nourriture, car on les utilisait surtout pour les labours et la fumure des champs. Le porc était apprécié, car il était facile à nourrir. Mais cet avantage était aussi la cause des tabous concernant un animal qui n'hésitait pas à absorber des charognes, voire des excréments mélangés à du son. La sale réputation du cochon était aggravée par les troubles qu'il provoquait dans son environnement. Les paysans se plaignaient des dégâts qu'il causait dans les forêts, en cherchant des faines sous les hêtres ou des glands sous les chênes.
En ville, les porcs répandaient dans les rues les ordures qu'ils n'avaient pas pu avaler, allant même jusqu'à perturber les cimetières. L'historien Michel Pastoureau raconte qu'au début du 13e siècle, Philippe Auguste dût construire un mur suffisamment haut, autour du cimetière des Innocents à Paris, pour empêcher les porcs d’aller y déterrer les cadavres. Ces animaux étaient aussi la cause de nombreux accidents. En 1131, un cochon vagabond heurta le cheval du prince Philippe, le fils aîné du roi de France Louis VI le Gros. Philippe décéda à la suite de ses blessures. Pour éviter la répétition de ces événements tragiques, dès la fin du 12e siècle, toutes les villes d’Europe prirent des mesures pour limiter, ou pour interdire, la circulation des porcs dans les rues.
Le refus de tout interdit alimentaire absolu de l’Église
Malgré toutes ces références négatives, la consommation du porc n'a jamais été interdite par l'Église, car elle repose sur une doctrine et des pratiques caractérisées par le refus de tout interdit alimentaire absolu. La consommation du porc est même devenue, au fil du temps, une dimension importante de l’identité chrétienne par opposition aux autres religions. À l’époque moderne, lorsque les chrétiens d’origine juive ou musulmane furent soupçonnés d'être restés secrètement fidèles à leur religion antérieure, l’Inquisition fit même de l'interdit concernant la consommation du porc un critère pour repérer les déviances.
Bibliographie
- Michel Pastoureau, "Symbolique médiévale et moderne*"*, Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 2012, n°143, p. 198-206.
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