Inventeur du théâtre équestre, Bartabas a renouvelé le spectacle vivant en y faisant entrer les chevaux, depuis plus de 30 ans, il les met en scène dans son Théâtre équestre Zingaro au fort d'Aubervilliers. C'est sur les routes, avec le Théâtre Emporté puis le Cirque Aligre, que Bartabas se forme et pose les premières pierres d'un nouveau genre : le théâtre équestre. Mêlant danse, théâtre, musique et équitation, Bartabas propose des spectacles sans comparaison possible, souvent inspirés par une culture venue d'ailleurs, parfois construits en collaboration avec des musiciens et chorégraphes, toujours centrés autour de leurs acteurs principaux : les chevaux. Depuis 1989 et l'installation de sa compagnie Zingaro au fort d'Aubervilliers, Bartabas vit dans une caravane, comme les 40 écuyers-artistes qui l'entourent, et chaque matin se lève aux aurores pour continuer ses discussions silencieuses avec ses chevaux. Parmi les créations qu'il monte, on trouve de grandes formes, Opéra équestre (1991), Triptyk (2000), Darshan (2009), et au sommet de son art Ex Anima (2017) pour lequel les écuyers quittent la piste pour laisser seuls dans la lumière les chevaux ; mais également des pièces célébrant le duo homme-cheval, Lever de soleil (2006), Le Centaure et l’animal (2010), ou encore Entretiens silencieux (2021). Depuis quelques années, Bartabas a vu pénétrer l'écriture dans son quotidien, avec D’un cheval à l’autre (Gallimard, 2020) dans lequel il fait le portrait de tous les chevaux qui l'ont accompagné dans son art, Les Cantiques du corbeau (Gallimard, 2022), et Un geste vers le bas (Gallimard, 2024).
À l'occasion de la publication de ce dernier livre, récit de la rencontre entre Pina Bausch et le cheval Micha Figa, Antoine Leiris reçoit Bartabas et parcourt avec lui une vie passée aux côtés des chevaux.
Le Théâtre équestre Zingaro
Après avoir fait parti du Cirque Aligre à ses débuts, Bartabas a choisi de fonder sa propre compagnie, mais il n'a pas souhaité entrer dans le cadre classique du cirque, et c'est une structure d'un tout nouveau genre qu'il a inventé : le théâtre équestre. Depuis 1989, le Théâtre équestre Zingaro est installé au Fort d'Aubervilliers dans un théâtre pensé sur mesure par Patrick Bouchain et Jean Harari, y cohabitent des artistes, humains comme chevaux.
"On essayait d'affirmer quelque chose qui n'existait pas, on a créé un genre, une compagnie comme un corps de ballet ou une compagnie de théâtre qui serait moitié hommes, moitié chevaux. C'est ça la vraie définition de Zingaro, ce ne sont pas des numéros, mais bien être ensemble, chevaux et humains, et regarder ce qu'on peut faire, ce qu'on a envie de dire, de défendre comme cause, comme questionnement. Et on travaille tous ensemble, c'est le propre d'une compagnie de théâtre. [...] C'était donc très important d'avoir un bâtiment qui acte cette idée, c'est un théâtre qui est fait pour les chevaux, par exemple les loges sont des box pour les chevaux qui donnent directement sur la piste."
Passage à l'écriture
Comme il le dit lui-même, Bartabas est un vieil-jeune écrivain puisqu'il a commencé à écrire à 60 ans. Bien que l'aventure Zingaro ne soit pas terminée, l'écriture a pour lui l'élan d'une seconde vie, après 50 ans à s'occuper d'une troupe, à se lever chaque matin pour travailler avec les chevaux.
"Dans mes spectacles, il n'y a pas de langage intelligible, depuis 40 ans à Zingaro, j'y ai toujours tenu, pour le côté international et parce que le rapport au cheval est tellement animal, il fait appel à un inconscient collectif qui est au-delà des langues. Donc j'avais du mal à inclure des textes intelligibles. Après réflexion, j'ai réalisé que monter à cheval tous les matins, certains chevaux pendant 30 ou 40 ans, c'est un entretien silencieux tous les matins avec un cheval. Ce qui est tout de même exceptionnel, même avec des êtres humains on n'a pas forcément ce rapport. Finalement, monter à cheval m'a préparé à écrire. Il y a beaucoup de points communs, le côté tâcheron, il faut s'y mettre tous les jours, et puis être à cheval c'est très solitaire, comme avec l'écriture. Dresser un cheval c'est chercher pendant des jours et des jours, se remettre en question, atteindre l'équilibre juste, l'assouplissement, le rythme, l'intention du geste, et l'écriture c'est pareil, c'est chercher le mot juste qui correspond exactement à ce que vous voulez dire, le rythme de la phrase."
Pina Bausch et Michel Figa
Dans son troisième livre, Un geste vers le bas (Gallimard, 2024), Bartabas offre le récit de la rencontre entre la chorégraphe Pina Bausch et le cheval Michel Figa. A l'origine de ces nuits partagées qui s'étaleront sur dix ans, il y a l'idée d'un spectacle, mais aucune obligation, la liberté absolue de deux êtres qui s'apprivoisent. Finalement il n'y aura pas de spectacle, mais ce livre, seul témoin de ces moments suspendus.
"C'étaient des nuits entières, quelqu'un qui les verrait de l'extérieur dirait qu'il ne se passait rien, pour rentrer dedans il faut beaucoup de temps. C'est un sens de l'observation. Ce qui m'intéressait, c'était de mettre en rapport un cheval avec quelqu'un de complètement vierge en termes de connaissance équestre. Par exemple, on sait que quand on aborde un cheval on le caresse sur l'encolure, ça correspond à un point en éthologie où les chevaux se mordillent, c'est un signe de soumission. La première fois que j'ai invité Pina Bausch à s'approcher du cheval pour le caresser, elle a eu un réflexe de recul, pas de peur, en disant : « Mais c'est très impudique, c'est comme si vous me présentiez quelqu'un dans la rue que je ne connais pas et que je lui caressais le cou, ça ne se fait pas. » Tout d'un coup le langage que j'avais appris parce que c'est mon métier n'était plus du tout vierge de la connaissance."
Pour en savoir plus sur son actualité :
- Un geste vers le bas, paru le 7 mars 2024 chez Gallimard
- La voie de l’écuyère pour l’Académie équestre de Versailles (du 5 au 9 juin). Au programme : chorégraphies inédites et tableaux emblématiques avec tout l’esprit et la sensibilité de la compagnie-école installée depuis 20 ans dans la Grande Écurie du château de Versailles.
- Noces de crin, création 2024 avec le Cadre Noir de Saumur et l’Académie Équestre de Versailles (du 16 au 23 juin)
- Le Cabaret de l'Exil Femmes persanes sera repris du 8 novembre au 31 décembre 2024 au Théâtre équestre Zingaro.
Sons diffusés pendant l'émission :
- "Immortels" d'Alain Bashung sur l'album En amont paru en 2018 chez Barclay
- Jérôme Garçin dans A voix nue en mai 2023 sur France Culture
- Le choix musical de l'invité : “Soorakh moosh” du rappeur iranien Toomaj parue en 2021
- Federico Fellini dans une archive non sourcée
- Pina Bausch dans L'utopie théâtrale en mai 1977 sur France Culture
Le son du jour : "Girl From Outside" de Shellac
C'est une disparition qui a eu l'effet d’un tremblement de terre sur la scène rock indé, celle de Steve Albini, qui nous a quittés le 7 mai dernier. Ingénieur du son aux multiples collaborations, il a œuvré à la production du premier album des Pixies, Surfer Rosa, devenu culte pour une toute génération d'artistes comme PJ Harvey ou Kurt Cobain, qui ont d’ailleurs fait appel à ses services par la suite. Steve Albini était anticonformiste et anti-commercial : il vénérait l'enregistrement analogique, refusait de toucher des droits liés à ses collaborations et rejetait l'étiquette de producteur. En tant que guitariste et chanteur, il avait fondé plusieurs groupes : Big Black, Rapeman - un nom qu'il a fini par regretter - puis Shellac, sa dernière formation. C'est seulement dix jours après sa disparition que le groupe devait sortir un nouvel album, To All Trains. L'occasion de rendre hommage à cette figure majeure du noise rock et de la musique indépendante. Le morceau Girl From Outside est notre son du jour.