Il est le pontife de la littérature jeunesse, le responsable du déluge de poussins qui prolifèrent et chahutent joyeusement dans les rayons des librairies depuis qu’il y est entré par effraction en 1985. Son premier ouvrage paru cette année-là, L’album d’Adèle, ne devait être lu que par sa fille, à qui il l’offrait pour célébrer sa naissance. C’était sans compter Geneviève Brisac, son éditrice, qui le convainc de le rendre accessible à tous les enfants, avant qu'il ne la rejoigne à l’École des loisirs où il a signé près de 80 albums depuis. Peintre dans une première vie, puis illustrateur de presse chez l’Express, Claude Ponti raconte avoir retrouvé la parole - jusqu’alors confisquée par les déchirements et les drames de son enfance - grâce au livre jeunesse. C’est là, dans ce terrain de jeu si singulier, qu’il a inventé une langue incroyabilicieuse que seul lui maîtrise, mais que tous les enfants comprennent. À la croisée de Lewis Carroll, de l’Oulipo et de Jérôme Bosch, le monde qu’il déploie de livres en livres est un joyeux capharnaüm, habité de chimères merveilleuses, telles Pétronille, Hipollène, Okilélé, Poutchy Bloue, Lili Prune et autres Oum-Popotte. Certaines ont le droit à leurs propres séries : c’est le cas des poussins Tromboline et Foulbazar, des drôles de souris Monsieur monsieur et Mademoiselle Moiselle, mais surtout de Blaise, le poussin masqué, qui, à près de 33 printemps, ne fait décidemment pas son âge.
Arrivé en 1991 dans Blaise et la tempêteuse bouchée, cet éternel irrévérencieux est de retour dans À l’aise Blaise !, un recueil qui lui est pleinement consacré. C'est à cette occasion qu'Arnaud Laporte recevait Claude Ponti pour revenir sur son parcours et entrer dans la fabrique de son œuvre... gigagrantesque.
Avant la littérature jeunesse
Revenant sur ses débuts dans le dessin de presse, Claude Ponti se souvient :
"Ma carrière de dessinateur de presse a été une leçon de travail, de rectitude, d'obligation. Rendre le travail au moment de la commande, comprendre ce qu'on a à faire : je n'étais pas du tout un dessinateur politique. Moi, on me donnait un article et on me disait "fais un ou deux dessins". Il fallait comprendre de quoi ça parlait, faire une synthèse le plus juste possible en un dessin. Sans être tout à fait méchant, mais un petit peu ironique, quand un article est mauvais, il faut quand même en lire une dizaine de lignes avant de s'apercevoir que ça ne va pas. Un dessin, c'est radical, c'est immédiat, donc on est sur le fil du rasoir en permanence. J'ai énormément, énormément appris à ce moment-là."
Poussins partout
D'où vient cette obsession pour les poussins qui parcourent l'œuvre de Claude Ponti ?
Il raconte : "J'avais besoin de personnages qui déroutent, qui sèment le bazar et qui enclenchent des mini-commencements d'histoire, aussi bien graphiques que verbalisables. Je conduisais parfois ma fille à la garderie, avec des tas d'enfants en grenouillères qui grenouillaient. Ça m'a rappelé les cageots de poussins qui étaient en vente sur les marchés des petites villes quand j'étais enfant. Ça grouille, ils se montent dessus, ils se marchent dessus, ils se bavent dessus, ils se font des bisous... Le poussin, ça pique et c'est ultra-doux, comme le bébé. Je me suis dit : je tiens mon affaire !"
Le dessinateur au travail
Claude Ponti explique travailler au porte-mine, puis à l'encre de Chine, et enfin à l'aquarelle pour la mise en couleurs, l'étape la plus réjouissante pour lui : "Je ne sais pas faire l'aquarelle comme tout le monde, en trouvant la couleur du premier coup et en la passant de manière extrêmement délicate et puissante. Moi, je passe et je repasse et je repasse. En passant 5, 6, 7 ou 8 fois la couleur avec des petites variantes ou d'autres couleurs, on obtient une couleur extrêmement puissante, extrêmement forte. Et quand le pinceau est en forme, le papier d'accord, l'aquarelle bonne, l'eau pas trop sale, c'est l'extase. C'est des moments extraordinaires."
Des histoires à adopter
D'où viennent les histoires que Claude Ponti décide de raconter ? Il explique que l'inspiration n'a pas d'origine définie, que les histoires viennent et s'imposent à lui. "C'est un peu comme les enfants. C'est-à-dire qu'un enfant, il faut l'adopter, même si on l'a fait. Et là, l'histoire, quelle que soit la manière dont elle m'est venue, il faut que je l'adopte. Sinon, elle n'est pas à moi, sinon, je n'en ferai rien. Ou alors, on tombe dans la fabrique et les méthodes de fabrication classiques de livres, de littérature, ce que je ne sais pas faire. Je ne me vante pas, mais je ne sais pas le faire."
Plus d'informations sur ses actualités :
Le recueil À l’aise, Blaise ! est paru le 27 mars chez L'École des Loisirs.
Présentation de l'éditeur : Blaise le poussin masqué est exceptionnel : il peut faire toutes sortes de bêtises sans craindre de se faire disputer, puisqu'il suffit qu'il ôte son masque pour qu'on ne sache pas qui il est. Pratique, non ? Il peut ainsi être roi des sports, poète, dresseur de monstres, accomplir des exploits uniques au monde, et même critiquer Claude Ponti (qui ne peut pas s'empêcher de le mettre dans tous ses livres) !
Claude Ponti est le parrain de la nouvelle édition du festival "Partir en Livre" du 19 juin au 21 juillet 2024, à l’occasion des 10 ans du CNL. Il a par ailleurs signé l’affiche du festival.
Sons diffusés pendant l'émission
- The homeless wandered, Emahoy Tségué et Maryam Guébrou, Ethiopia Song (Buda Musique 1996)
- René Clait lit Blaise Pascal dans l'émission Le livre de chevet sur France Culture en 1967.
- Blaise Cendrars au micro de Michel Manoll dans En bourlinguant avec Blaise Cendrars en 1950.
- Roland Topor, archive diffusée dans "Une vie, une œuvre" sur France Culture en 2003.
- Sigmund Freud, archive de la BBC enregistrée en 1938.
- Jorge Luis Borges, entretiens avec Jean Daive pour France Culture en 1978
- Agnès Desarthe dans l'Heure Bleue sur France Inter en 2019.
Le Son du Jour : “Preciosa” d’Empress Of
La musique bilingue a de belles heures devant elle. Empress Of en la preuve vivante. Lorely Rodriguez de son vrai nom, est née aux États-Unis de parents honduriens et d'un père pianiste de salsa. Pourtant, elle n'a pas immédiatement mis à profit cette double culture. À ses débuts en 2012, elle privilégiait le chant en anglais sur fond de synthpop. Son premier album Me paru en 2015, avait d'ailleurs tôt fait de ravir le lectorat élitiste du magazine Pitchfork, référence en matière de critique de la musique indépendante aux États-Unis. Sauf qu'entre-temps, Rosalia et Kali Uchis ont contribué à bouger les lignes d'une musique pop internationale encore très encastrée dans un monolithe d'anglophonie. Sur son nouvel album For Your Consideration, Empress Of alterne entre les deux langues et continue de s'éloigner de son public initial. Véritable album de rupture, versant célibat heureux plutôt que chagrin d'amour, For Your Consideration permet à son interprète de s'émanciper en direction d'un imaginaire glamour rétro-hollywoodien. À ce jeu du romantisme exacerbé, le morceau Preciosa a tout d'un manifeste. C'est notre son du jour.