Au 9e siècle, les vikings ont assiégé Paris… et pas qu’une fois. Ah bon ? Oui, c’est Abbon qui raconte cela, Abbon de Saint-Germain-des-Prés, un moine qui dit avoir assisté aux événements. Abbon surnommé le Courbé. Mais plus que les autres, c’est le siège Paris de 885 qui est resté dans les mémoires. Il a duré longtemps, avec la crainte qu’à cause des vikings, il n'y ait plus d'après à Saint-Germain-des-Prés.
L’intensification des incursions vikings au 9e siècle
Le terme “viking” ne désigne pas un peuple mais une activité. Principalement nommés Normands ou Danois dans les sources, les vikings sont ceux qui s’embarquent pour des expéditions maritimes orientées vers la recherche de richesses. "Les ‘hommes du Nord’ est une façon de désigner l'origine géographique réelle de ces bandes", explique l'historien Bruno Dumézil, directeur de l'ouvrage Les Barbares (Presses universitaires de France, 2016). "Ils viennent effectivement du Nord, mais c'est aussi un mot qui a des connotations bibliques car dans l'Ancien Testament et dans l'Apocalypse, [...] ‘c'est du Nord que viendra la destruction’. Dire que ce sont les hommes du Nord, c'est dire que ce sont les gens qui viennent du mauvais côté."
Dès les années 570, les vikings mènent des déprédations sur les côtes de la mer Baltique. À la fin du 8e siècle, la fréquence des raids augmente. La concentration progressive du pouvoir et l’approfondissement des échanges commerciaux dans les mers septentrionales permettent à des élites scandinaves de financer des déprédations. Les vikings s’enrichissent alors par le pillage, le commerce d’esclaves et le prélèvement de tributs.
Si ces raids sont particulièrement violents, ils donnent aussi lieu à des conciliations politiques et à des formes d’acculturation. Certains vikings sont notamment vassalisés ou se christianisent. "Ils conclu[ent] des accords avec les rois carolingiens, avec des coreligionnaires – beaucoup de chefs vikings sont déjà baptisés –, et parfois avec des cousins – les vikings commencent à se marier avec les aristocrates. On sait qu'un peu plus tard, le fondateur du duché de Normandie, Rollon, épouse une aristocrate franque", ajoute Bruno Dumézil. "Ce sont à la fois des étrangers, quand on veut les voir comme étrangers, et ce sont des protagonistes des querelles internes, quand on préfère les avoir comme amis."
885, le quatrième siège de Paris
Face à la pression croissante des incursions vikings, des mesures défensives sont prises dans l’Empire carolingien. En 862, Charles le Chauve fait notamment construire des ponts fortifiés sur les fleuves afin d’en assurer le contrôle.
Pour autant, en 885, des flottes vikings remontent la Seine et assiègent Paris. La défense de la cité est principalement assurée par Eudes, comte de Paris, et par l’évêque Gozlin. En 886, Charles le Gros verse un tribut et accorde aux Normands un droit d’hivernage en Bourgogne. Cette négociation aurait achevé d’affaiblir son pouvoir. Désavoué en 887, Charles le Gros meurt en 888. Dans un contexte de progression du poids politique des élites aristocratiques, Eudes de Paris est couronné roi de Francie occidentale.
Le poème d’Abbon de Saint-Germain, une source narrative unique
La principale source sur le siège de Paris est le poème rédigé par Abbon, moine de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et achevé vers 897. Abbon se présente comme un témoin direct du siège, mais son texte est davantage un exercice de style qu’une description fidèle des faits. Il dépeint l’affrontement eschatologique entre des peuples païens et les Parisiens, chrétiens frappés d’une punition divine.
"Les détails du siège, les dates, sont vrais. La peur est vraie. [Abbon] a connu la peur, il était à l'intérieur des murailles. Mais quand il nous dit que l'abbé de Saint-Germain-des-Prés a tiré une flèche et qu'il a réussi à embrocher six vikings et qu'il a demandé ensuite qu'on amène des broches pour pouvoir les cuire, c'est peu vraisemblable", précise Bruno Dumézil. "700 navires, ça fait beaucoup, surtout qu'il écrit qu'à côté il y avait des barques, donc cela donnerait une armée de 30 000 hommes. Cela pose des problèmes de ravitaillement."
Cette source, inexistante pour les autres sièges de Paris, a permis à cet événement de s’inscrire dans la mémoire collective et d’être mobilisé à plusieurs reprises. Sous la monarchie de Juillet, Louis-Philippe se présente comme le descendant d’Eudes et établit un parallèle entre la défense de Paris en 885 et la défense contre les Prussiens à Valmy en 1792. En 1942, le résistant et médiéviste Henri Waquet fait publier une nouvelle traduction du texte et tisse une filiation entre les deux expériences de résistance à des envahisseurs de langue germanique.
Pour en savoir plus
Bruno Dumézil est professeur d’histoire médiévale à Sorbonne Université et à l’École polytechnique. Ses recherches portent sur l’histoire religieuse, l’histoire des élites et l'histoire des royaumes barbares durant le haut Moyen Âge.
Publications :
- (édition) Siège de Paris par les Vikings, Abbon, traduction du latin par Enimie Rouquette, Anacharsis, 2024
- Charlemagne, Presses universitaires de France, 2024
- L'Empire mérovingien. Ve – VIIIe siècles, Passés Composés, 2023
- (dir.) Les Barbares, Presses universitaires de France, 2016
Références sonores
Archives et extraits de film :
- Régis Boyer, professeur de langues, littératures et civilisation scandinaves à la Sorbonne, France Inter, 2 septembre 2003
- Lucien Musset, historien des vikings et de la Normandie, France Culture, 3 décembre 1980
- Pierre Miquel, historien, dans l'émission Les histoires de France, France Inter, 6 juin 1980
- Extraits de la série Vikings, créée par Michael Hirst, saison 3, 2015
Lectures par Daniel Kenigsberg :
- Extraits de Abbon de Saint-Germain, Siège de Paris par les Vikings, Livre I, vers 897
Musique :
- "Trøllabundin" par Eivør, 2004
- Générique : "Gendèr" par Makoto San, 2020