Alain Finkielkraut reçoit Victoire Tuaillon, journaliste et autrice des podcasts devenus des livres, Les Couilles sur la table et Le Cœur sur la table, et Noémie Halioua, journaliste et essayiste qui fait paraître La Terreur jusque sous nos draps. Au cœur de ce qui s’annonce aujourd’hui comme une révolution romantique, ils s'interrogent ensemble : que faire de notre héritage amoureux ? Faut-il en faire table rase pour réinventer l'amour ? L'amour, tel que nous le connaissions, risque-t-il de disparaître ?
De quelle idée de l'amour héritons-nous ?
Dans son essai féministe King Kong théorie (Le Livre de poche, 2006), Virginie Despentes écrit : "Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air.”
“Nous sommes très nombreuses parmi les féministes à partager cette invitation de Virginie Despentes. Nous pensons comme elle qu’il s’agit maintenant de réinventer l’amour en commençant par désemmêler l’amour et la violence, car pendant très longtemps - et encore aujourd’hui - notre culture les a entremêlés. Nous ne voulons pas ignorer cet héritage, mais plutôt le questionner, exercer notre droit d’inventaire et distinguer ce que nous voulons garder et ce dont nous voulons nous débarrasser. Il n'a jamais été question d’interdire des auteurs mais d’avoir un regard critique sur ces œuvres, en nous demandant comment elles nous ont imprégné et formé le cœur, comment elles nous ont appris à confondre l’amour et la violence et comment elles ont appris aux femmes à attendre de l’amour tout leur bonheur et leur liberté.”, expose Victoire Tuaillon.
"Il s’agit moins aujourd’hui de réinventer l’amour que de le sauver" (N. Halioua)
“Il me semble qu’il y a une forme de prétention du présent à vouloir réinventer ce sentiment qui existe depuis toujours. Déjà à l’époque, dans 'Le Banquet', Platon se demandait ce qu’est l’amour. À mon sens, il s’agit moins aujourd’hui de réinventer l’amour que de le sauver. En effet, l’amour est en train de disparaître, car on cherche à lisser ce sentiment essentiellement imparfait, dissymétrique et compliqué, et potentiellement douloureux, associé à un tragique. Aussi, quand on dit qu’on veut réinventer l’amour, je pense qu’en réalité, on cherche à en finir avec ce sentiment qu’on ne comprend pas.”, estime Noémie Halioua.
"L’amour n’est pas du tout en train de disparaître" (V. Tuaillon)
“Personne ne parle de lisser l’amour. Moi aussi, je pense que l’amour comprend une part de risque, mais ce n’est pas la même chose de risquer d’avoir le cœur brisé parce que quelqu’un a cessé de nous aimer que d’avoir le cœur brisé parce que quelqu’un vous a tapé dessus. En cela, nous les féministes, nous distinguons l’amour de la violence. Nous montrons et nous célébrons d’autres formes d’amour qui n’avaient pas été appelées amour jusqu’à présent. Nous célébrons un continuum amoureux. L’amour n’est pas du tout en train de disparaître. Au contraire, je pense que les luttes féministes et toutes les luttes progressistes visent à accroitre l’amour entre les individus en permettant à chacun et à chacune d’être libre.”, rapporte Victoire Tuaillon.
L'amour et ses carcans
“Il y a une forme de puritanisme dans le nouvel ordre moral. Il y a un clivage des sexes, il y a une culpabilité de la chair et un désir d’émancipation total de l’idéal amoureux qui à mon sens rejoint cet ascétisme. Il y a une résonance dans cette détestation de la chair et de l’amour.”, explique Noémie Halioua.
“Ce que les théoriciennes, les militantes, les autrices, les poétesses, les artistes féministes m’ont appris et ce qu’elles continuent de m’apprendre, ce que je continue d’expérimenter avec elles dans ce grand mouvement de réinvention et de révolution amoureuse, c’est l’amour de la chair, c’est l’amour des corps et le développement de nos désirs hors des carcans qui leur ont été imposés par des siècles de religion et de violence patriarcale. Je ne vois absolument aucun puritanisme là-dedans, au contraire.”, note Victoire Tuaillon.
Chanson en fin d'émission
Juliette Armanet, "Imaginer l’amour"
Bibliographie de l'émission :