Mardi 3 décembre, Michel Barnier s'alarmait d'un "spread" franco-grec évoluant en faveur de la Grèce. En effet, le taux d'intérêt auquel la France emprunte sur les marchés flirte avec celui de la Grèce et s'éloigne de celui de l'Allemagne. Début décembre, le taux d’intérêt de l’OAT (Obligation Assimilable au Trésor) s'établissait à 2,92%, et son équivalent allemand à 2,04%. Le niveau du spread franco-allemand, soit l'écart entre ces deux taux, s'élevait alors à 0,88 points de pourcentage, un record depuis 2012. Les marchés financiers, et plus particulièrement les investisseurs qui s’échangent les obligations souveraines, réagissent ici à l’instabilité politique française.
Le terme de “spread”
Auparavant réservé aux experts financiers, il est apparu récemment dans le débat public et suggère une comparaison entre deux pays. L’Allemagne est souvent prise comme référence dans la zone euro, en raison de sa très bonne notation (AAA), qui lui garantit une bonne réputation sur les marchés financiers. Le spread se mesurant en “points de pourcentage”, il permet de dépasser l’analyse des taux d’intérêts absolus, qui peuvent être biaisés par la disponibilité en liquidités sur le marché. Il s’inscrit également dans un usage croissant des mesures comparatives, qui s’est accélérée avec la globalisation financière à partir des années 1980. "En 1985, la réforme lancée par Pierre Bérégovoy internationalise la dette française et met tout un système en place pour qu'elle soit placée sur les marchés financiers (...). À l'époque, l'idée est que cette mutualisation de la dette sur les marchés ne peut être que favorable, puisqu'elle va permettre d'avoir le meilleur taux possible en fonction de l'offre et de la demande", analyse Laure Quennouëlle-Corre.
Cependant, le spread en tant que mesure a aussi ses limites. Ainsi, le spread franco-grec, mobilisé dans l’actualité française car évoluant en faveur de la Grèce, traduit plus une amélioration de la situation économique grecque depuis la crise de 2010 qu’un déclin français. Par ailleurs, son analyse doit se coupler à d’autres données, tel que le niveau de déficit d’un pays et sa situation économique. Il s’agit enfin d’une mesure très volatile, qui reflète avant tout la dépendance des pays émetteurs aux marchés financiers. Ainsi, malgré les avantages du spread, la soutenabilité de la dette française se mesure d’abord à l’aune du taux d’intérêt, qui est déterminé en grande partie par les agences de notation. Comme le précise Norbert Gaillard, "lorsque l'on regarde le bulletin de santé d'un État, il faut regarder aussi bien les notes que les rendements, les taux d'intérêt, éventuellement les spreads, et évidemment les fondamentaux macroéconomiques. Parce que c'est tout cela qui entre en ligne de compte". Ces indicateurs "interagissent les uns avec les autres, il y a une sorte d'interdépendance".
Depuis quand le spread est-il devenu un indicateur mobilisé dans le débat public ? Que permet cette évaluation comparative, que ne permet pas l’analyse des taux d’intérêt seuls, ou les notes données par les agences ? Que dit vraiment le spread de la capacité d’un pays à rembourser sa dette ? Quelles sont les limites de cet outil, et à quel point le spread a-t-il une incidence sur les marchés financiers ?
Pour aller plus loin
- Norbert Gaillard : Les agences de notation, La Découverte (réédité en 2022)
- Laure Quennouëlle-Corre : Le déni de la dette. Une histoire française (Flammarion, avril 2024)
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