Le principal risque que fait encourir la vengeance aux sociétés, est celui non seulement d’une violence infinie mais également d’une indifférenciation violente qui intervient lorsqu’une société n’est plus capable de distinguer la mauvaise violence du crime et la « bonne violence », celle de la peine. Pour se prémunir de ces périls, les sociétés humaines ont canalisé et détourné la violence vers un animal ou un homme sans défense - qui ne risque donc pas d’exercer de représailles – lors d’une cérémonie rituelle à savoir un sacrifice. Le sacrifice se pose ainsi comme la condition de l’ordre.
Dans nos sociétés, le tribunal a pris la succession de cette fonction sacrificielle qu’il exerce tout en la dissimulant. Mais il n’est pas le seul dépositaire de cette fonction ; ne peut-on pas considérer les victimes d’inceste ou les enfants victimes d’agressons sexuelles de la part de religieux, comme des conditions implicites de l’ordre social de nos sociétés. Elles étaient là fort nombreuses, mais personne ne les voyaient. C’est la thèse majeure de l'anthropologue Dorothée Dussy qui parle d’un « ordre moral incestuel », Hervé van Baren nous explique "dans son livre, elle propose une analyse qui montre les invariants anthropologiques de l'inceste. A savoir que la victime accepte toujours plus ou moins son sort et qu'il y a une unanimité pour la faire taire. Parce que la première règle de l'inceste, c'est le silence. Les enfants victimes d'inceste ont peur de parler, ils ont peur de rompre cette loi du silence. Parfois, surtout au début, ils essayent de parler, mais on leur apprend très que ce n'est pas bon pour eux et donc ils apprennent à faire semblant et faire comme si rien de s'était passé". Edouard Durand, l'ancien président de la Ciivise, considère que l'inceste est la réalité la plus déniée de l'histoire, Denis Salas ajoute "en effet le silence peut s'expliquer par une couche de déni extrêmement épaisse qui, en quelque sorte, sédimente dans le silence des victimes. Le déni de la victime elle-même, la honte, la culpabilité, elles sont "silenciées", c'est un nouveau terme qu'il faut faire circuler. Il y a également l'agresseur qui va se replier dans une autre forme de silence, celui du déni, du refus et de la dénégation. L'entourage lui-même qui va cimenter ce silence par sa complicité active et puis la loi qui n'est pas accessible".
Nous vivrions donc une double révolution : la première dans la remise en cause, voire la disqualification, des institutions dont on ne reconnaît plus le caractère sacré, et notamment de la violence étatique celle de la peine. La seconde dans la dénonciation de toutes ces victimes innocentes qui étaient peut-être la condition d’un ordre. Comment allons-nous survivre à cette crise symbolique majeure ?
Pour aller plus loin
Références musicales :
- The End, par The Doors
- Crucifixus, Messe en si mineur, J.S Bach, par Collegium Vocale Gent, dirigé par Philippe Herreweghe
