"Je voudrais vous raconter l’histoire de la mémoire, ou plutôt, l’histoire d’un homme, il se retourne vers le passé, il se tourne vers l’avenir et il essaie de capter la vibration du temps qui passe. Peut-être que le temps passe mais il laisse des traces et cet homme n’aime rien tant que ces traces qu’il rêve d’encapsuler et de balancer dans l’espace, vers l’avenir, vers d’autres vivants qui sait, pour qu’après notre mort, dans cent ans, dans mille ans, l’ouverture de ces capsules dise que nous avons été, que notre mort n’a été qu’un chapitre, et pas nécessairement le dernier, un chapitre d’une histoire qui n’est pas terminée, que d’autres que nous continueront peut-être à écrire. Il se tourne vers l’avenir mais également vers le passé, il prend ses souvenirs dans ses bras et en fait des chansons : elles aussi peut-être voyageront dans le ciel et viendront témoigner, dans cent ans, dans mille ans : oui, nous avons été, nous avons aimé, souffert et joui, oui, notre vie fut une fête, une fête noire, orange et rouge. Il prend ses souvenirs dans ses bras et peu lui importe que ses souvenirs soient faux. Il connait bien les travaux de la psychologue américaine Elizabeth Loftus qui a montré que bon nombre de nos souvenirs, en lesquels nous croyons durs comme fer, sont en réalité de faux souvenirs : nous nous souvenons de scènes, d’épisodes qui n’ont tout simplement jamais eu lieu.
Les travaux d’Elizabeth Lotfus ont eu une telle répercussion que la façon de rendre la justice aux Etats Unis en a été bouleversée. Impossible, désormais, de condamner quelqu’un sur la base d’un seul témoignage, tant le risque est grand que le souvenir du témoin soit en fait un faux souvenir. Il connait les travaux d’Elisabeth Loftus mais il s’en fout : ses faux souvenirs, il les aime comme des vrais. Il sait l’introuvable frontière entre mémoire et imagination, il compose ses chansons comme des collections de souvenirs fictifs qui finalement parlent de lui : un homme qui aime tendre l’oreille pour recueillir les bruits du monde, une matière sonore brute à changer en musique.
Pour parler du temps qui passe et de notre mémoire qui en capture des traces, nous avons la joie recevoir quelqu’un qui ressemble un peu à cet homme amoureux de ses faux souvenirs, un auteur-compositeur-interprète à l’univers beau et bizarre, follement séduisant, Flavien Berger, dont le troisième album Dans Cent Ans est sorti récemment. Flavien Berger nous a rejoint dans la caverne de France Inter, sous le soleil de Platon, pour nous aider à répondre à cette belle question : de quelle matière est fait le temps ?"
Flavien Berger, une philosophie de l'être et de la mémoire
Pour Flavien Berger, faire de l'art, faire de la musique, c'est une manière de contrer le temps, mais rien de narcissique là-dedans, simplement l'idée d'avoir quelque chose comme une trace, qui reste... .l fait de sa musique un véritable laboratoire expérimental pour le son, la musique, les voix, les bruits. « La musique a quelque chose de monstrueux, c'est l'émergence d'une expression faite de plein d'émergences et de plein de doutes. Elle est en continuelle évolution, en continuel changement, rassemble les époques... »
Il enregistre le monde qui l'entoure, l'encapsule, s'en sert pour ses morceaux, s'intéresse aux souvenirs et aux rêves, célèbre l'accident, l'inattendu , regrette que notre humanité ait un rapport si étouffé aux rêves ... Flavien Berger ne fait pas de différence entre les souvenirs fictifs ou réels, il aime explorer les territoires inconnus, les univers flous... et, comme un magicien, malaxer avec eux la musique et le temps. « Dans la recherche des souvenirs et dans l’exploration de l’inconscient, il n’y a pas de sens au sens direction, il n’y a pas de sens dans la hiérarchie des signes. »
"Les mots qu’on dit ont des résonances différentes en fonction de âges où on les prononce. Et ils sont aussi prophétiques, il y a des souvenirs qu’on invente, des choses qu’on a écrit qui arrivent, des auto-prophéties qui se réalisent... On joue avec quelque chose de dangereux".
Après deux albums studio, Léviathan (2015), Contre-temps (2018), et l'excellent album expérimental Radio Contre-Temps (2019), Flavien Berger a sorti son 3ème album studio Dans Cent Ans cette année (2023) !
Il sera en concert le 21 juillet au festival Les Escales du Cargo au Théâtre Antique d’Arles, le 25 août au festival Rock-en-Seine, en Ile-de-France, et repartira en tournée dans toute la France en fin septembre.
Archives, extraits et références
- Le livre L'Énergie spirituelle, d'Henri Bergson (1919)
- La musique de la compositrice Lili Boulanger
- Extrait du film Une Merveilleuse histoire du temps, de James Marsh, sur l'histoire de Stephen Hawking (2014)
- Les œuvres de l’artiste Paul Laffoley
- Extrait de la reprise d'Avec le temps, d’Alain Bashung (titre original de Léo Ferré)
- Octobre, issu de l'album Quelque chose s'est dissipé d'Audrey Carmes (2023)
Programmation musicale
Feux follets*, de Flavien Berger
Brutalisme*, de Flavien Berger