Que ressent-on dans la pénombre d’une grotte à la vue d'une fresque peinte par des hommes il y a plus de 17 000 ans? Qu’éprouve-t-on en pénétrant dans la salle des Taureaux de la grotte de Lascaux ? Quelles émotions suscitent les parois ornées de la grotte Chauvet ? Un frisson, un vertige, une larme peut-être...
Jean-Michel Geneste est l’un des rares privilégiés à pouvoir répondre à ces questions. Archéologue, spécialiste de l’art préhistorique, il a été conservateur de la grotte de Lascaux et il a coordonné les recherches dans celle de Chauvet. Il est aussi allé à la découverte de l’art rupestre sur d’autres continents. De la Colombie-Britannique à la Papouasie Nouvelle- Guinée en passant par l’Altaï entre Russie et Mongolie, et l’Australie. Que lui ont appris ces voyages et ces explorations souterraines ? Qu’est ce que ces œuvres d’arts laissent entrevoir des hommes et des femmes qui les ont réalisées ?
Il est l'auteur avec son confrère Boris Valentin de : Si loin, si près. Pour en finir avec la préhistoire (Flammarion, 2019)
Une véritable Chapelle Sixtine
Pour Jean-Michel Geneste, Lascaux, c'est tout d’abord un contraste sur la paroi blanche et calcite, entre des contours de taureaux noirs dessinés avec un charbon de manganèse qui est épais et opaque. Et puis, il y a les couleurs rouge et jaune qui sont soufflées à la bouche des chevaux et des cerfs de couleur jaune orangé, de tons ocre et jaune pâle. Un immense contraste entre des formes de tailles différentes et de textures et techniques opposées. Dans son ouvrage, Si loin, si près, il compare ce plafond à celui de la chapelle Sixtine : « Ils ont choisi une paroi la plus blanche possible et surtout, plafonnant partout dans la rotonde. Quand on regarde cette paroi, on est pris par le tournoiement de grandes figures qui tournent autour de notre tête. Quand on avance dans le diverticule axial, il faut vraiment lever la tête, se tordre le cou pour regarder, et dans cette position particulière, on est dans une forme d'adoration. Et puis, il y en a partout. C'est-à-dire que les œuvres sont flottantes dans l'espace, elles ne sont pas ancrées sur un sol, elles sont au-dessus de vous, donc la comparaison avec la chapelle sixtine s'impose. »
La grotte ornée de Cussac
Lascaux a été découverte en 1940. Huit ans plus tard, elle était ouverte au grand public, ce qui a causé de nombreux dégâts. Aujourd'hui, elle est fermée, et on essaye de la préserver au maximum. Les erreurs faites avec Lascaux n'ont pas été reproduites, par exemple, cela s'est passé très différemment pour la grotte ornée de Cussac. Elle se situe à une quarantaine de kilomètres de Lascaux. Elle a été découverte beaucoup plus tardivement, à la fin de l'année 2000. C'est une grotte moins connue, mais tout aussi importante que Lascaux ou Chauvet.
Quelques mois après sa découverte, le 3 juillet 2001, une dizaine d'experts internationaux, dont Jean-Michel Geneste faisait partie, ont été autorisés à pénétrer dans la grotte de Cussac pour la première fois : « Elle n'a jamais été ouverte au public, car elle est d’une fragilité. Les œuvres n’y sont non pas peintes, dessinées, mais gravées sur une paroi, dont le calcaire est altéré depuis très longtemps, elles sont dessinées avec une grande souplesse sur une paroi molle. »
Les animaux constituent le thème dominant, il y a quelques représentations d'oiseaux qui sont des formes assez rares. Le calcaire y apparaît en beige. Pour Jean-Michel Geneste : « Cussac est une cavité qui semble avoir été intentionnellement fermée après avoir été ornée, et surtout, elle contient environ entre cinq et dix individus qui ont été inhumés il y a 25 000 ans, c’est en fait l’une des premières grottes sépulcrales. »
La Grotte Chauvet Pont d’Arc
Il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans la grotte Chauvet Pont d'Arc, en Ardèche. Jean-Michel Geneste fait partie des rares personnes à y avoir eu accès et y avoir passé beaucoup de temps puisqu'il a dirigé le programme d'étude de cette grotte pendant de nombreuses années. C'est la grotte ornée la plus ancienne d'Europe connue à ce jour. Lascaux est séparée de nous de 18 000 ans, et Chauvet, de 36 000 ans : « Ce sont des temps tellement lointains que l’on a du mal à identifier les changements de ces sociétés, de ces cultures parce que les changements se sont faits à un rythme moins important. La vitesse du progrès matériellement sensible, se fait au prorata de l'interaction des intérêts individuels dans des contextes où la démographie nous dit qu'il y avait des quantités d'humains bien plus basses. Le nombre du million d'individus a été atteint aux alentours de 40 000 ans. Avant la grotte Chauvet, il y avait très peu d'interactions et d'évolution, le changement était rare. »
La place de l’Art dans ces sociétés
Il y a 36 000 ans, il y avait des hommes et des femmes spécialisés dans la réalisation de ces œuvres. Elles révèlent un véritable savoir-faire. Il y avait donc des artistes chez Homo sapiens : « L’Art soutenait une grande variété d'éléments importants de la société et s'exprimait à différents moments dans des rituels, pratiques singulières ou croyances. L’Art était beaucoup plus commun et tenait un rôle plus fort dans la société que de nos jours. » Il y a 36 000 ans, les hommes préhistoriques savaient parler et dans ces grottes, on se racontait des choses. Ces œuvres ne sont que le reflet de l'ensemble des histoires et des discours qui tenaient la société : « Il nous manque ces modes d'expression, la parole. Il y avait certainement des structures d'histoires qui se répétaient et qui étaient suffisamment singulières pour avoir des règles. »
Chronique Ailleurs et autrement
Alexis Robert, éloge du bonheur par la simplicité et le partage
Une chronique en partenariat avec Brut.
Pour aller plus loin :
- Pour visiter Lascaux, c'est ici
- Pour visiter Chauvet, c'est ici
- Lascaux, de Jean-Michel Geneste, Gallimard Découverte 2012
Programmation musicale :
- Claude Nougaro – L’amour Sorcier
- Roseaux – Kaät
- Jungle - Dominoes
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