Tous les lundis c’est avec des scientifiques que nous partirons explorer le monde. Pour commencer, aujourd’hui nous mettons le cap sur les rives du Nil avec une égyptologue, Bénédicte Lhoyer.
Professeur à l’école du Louvre, elle est la commissaire scientifique de l’exposition évènement « Ramses et l’or des pharaons » actuellement présentée à la grande Halle de la Villette.
Bénédicte Lhoyer a arpenté l’Egypte en tous sens. Sa passion l’a conduite de temples en cités antiques, de pyramides en tombeaux. Sur certains de ces sites, elle a participé à des fouilles archéologiques. Bien sûr, elle est incollable sur la vie et l’histoire des pharaons et des reines qui ont régné sur ces lieux il y a des millénaires. Mais notre égyptologue s’intéresse aussi et peut-être même davantage à la vie quotidienne des hommes et des femmes qui vivaient sous leur règne.
Cet après-midi, nous allons faire un grand voyage à travers l’espace et le temps. Bénédicte Lhoyer nous emmène en terre pharaonique !
La question de la différence et du handicap dans l'Égypte ancienne
L'Egyptologue a choisi un sujet d'étude original : "Il y avait une partie à Karnak assez extraordinaire, qu'on appelle le jardin botanique qui date de Thoutmôsis III, le neveu de la grande Hatchepsout. On est vers 1450 avant Jésus-Christ et il a fait une sorte d'encyclopédie de toutes les plantes ou des animaux qu'il avait pu voir lors de ses voyages, notamment en Syrie. Et il avait également mis des plantes bizarres et des animaux avec des particularités physiques. L'Égyptien est très intéressé par ce qui sort de "la norme".
Cette question du handicap est arrivée quand j'étais déjà en train de faire mes études à l'École du Louvre. On visitait les tombes de L'ancien Empire. C'est le temps des pyramides. On est entre 2700 et 2200 avant Jésus-Christ. Les plus beaux tombeaux sont recouverts de bas-reliefs, du plancher jusqu'au plafond. Et un moment, on tourne la tête en voyant toutes ces images sur la vie quotidienne. Subitement, je me retrouve face à un bonhomme sur une barque avec un ventre énorme. Et je me suis dit : "Tiens, c'est bizarre, là, l'artiste a décidé de faire une sorte de petit clin d'œil".
Sauf qu'au bout du troisième mastaba visité, avec ce monsieur avec cette espèce de ventre absolument énorme, j'ai commencé à regarder de plus près ces parois et je me suis rendu compte avec stupeur qu'il y avait des chauves, des bossus, des boiteux, des gens atteints de nanisme, des gens qui avaient des cages thoraciques absolument énormes. L'égyptien, la norme, la normalité, c'est la différence. C'est nous qui ne la voyons pas. Elle est partout. Ça m'a donné vraiment l'idée de travailler dessus. Mon professeur m'a dit que ce serait terminé en 30 pages.
Donc, il a fallu s'armer de patience. Mais cela nous donne des indications sur les mentalités. Le nanisme est considéré comme étant quelque chose comme favoriser des dieux. Avoir un serviteur nain, c'est tout de suite avoir l'idée de la hiérarchie. Quelqu'un en fait qui garde l'apparence d'un enfant qui ne grandit pas est pour les Égyptiens, un miracle absolu."
Toutankhamon, un exemple d'handicap
"Toutankhamon boitait. Ses hanches étaient beaucoup trop larges. Il était hydrocéphale, il avait ce crâne en forme de courgette qui est un peu la marque de fabrique de la famille, comme Akhenaton. Mais on lit dans les livres qu'il boitait et "c'est confirmé parce qu'on a trouvé 150 cannes dans sa tombe". Attention, ce sont des cannes de combat davantage symboliques. Elles sont utilisées pour montrer la puissance royale. En plus, il avait une ancienne forme du paludisme. Donc, finalement, oui, il n'était pas en bonne santé."
Une confirmation de la passion pour l'Egypte lors d'un voyage avec une amie
Bénédicte Lhoyer raconte l'origine de son attrait pour ce pays du Moyen-Orient : "C'est fantastique, car vraiment, on tombe amoureux de l'Égypte… Mon premier voyage, date de 2004 avec ma meilleure amie du lycée. Ses parents m'avaient embarquée dans leurs bagages. Après des années et des années à voyager dans les livres, pouvoir enfin fouler la terre d'Égypte, a été une émotion incroyable. J'ai encore dans le nez l'odeur quand j'ai mis le pied pour la première fois sur les rives du Nil, face à Louxor. C'est celui de l'aventure, de l'éternité. C'est un parfum sucré et je savais qu'à partir de ce moment-là, ce serait la bascule, que ce voyage allait confirmer, ou infirmer, le chemin d'une vie."
Une vocation liée qui vient des chasses aux trésors de l'enfance
L'égyptologue plonge dans ses souvenirs pour raconter comment elle est devenue la chercheuse d'aujourd'hui : "Pour autant que je me souvienne, j'ai toujours été fascinée par les trésors. En maternelle, je faisais même des cartes avec les amis dans la cour de récréation. Au départ, les Grecs avec leur civilisation, leurs mythes, et leurs dieux, m'intéressaient. Mais comme les Grecs avaient appris des Égyptiens… Je me souviens qu'au début, je les regardais avec méfiance en me disant : "Qui sont ces gens qui se maquillent, et s'habillent avec des petits pagnes ?" Puis j'ai plongé tête la première et je suis jamais ressortie."
Karnak, un temple gigantesque ou les temporalités s'imbriquent
Bénédicte Lhoyer : "A Karnak, le premier pylône est absolument énorme. Il tranche le paysage. Et puis quand on avance dans la première cour, on se retrouve avec le reposoir de barques de Séthi II sur le côté, et puis un temple de Ramsès III. Ensuite, on voit le deuxième pylône à moitié effondré. Ce sont les restes de toutes les conquêtes du premier millénaire. Plus on avance, plus on remonte le temps et puis on commence à voir tous les cartouches comme celui de Ramsès. On aperçoit tout ce qu'il reste encore à découvrir avec les mottes de terre qui n'ont jamais été retournées. Il y avait ces fameuses grilles du Centre franco égyptien d'étude des temples de Karnak. Et à ce moment-là, je m'étais juré qu'un jour ou l'autre, j'y mettrais les pieds.
Ce lieu est un amoncellement de temporalités. On a des cours, des pylônes, des salles qui se sont rajoutées au fur et à mesure. C'est un peu comme une pelure d'oignon où l'on commence par le sanctuaire, en quelque sorte le plus ancien. Et puis au fur à mesure des règnes, chaque roi, chaque pharaon a ajouté un élément, une porte que parfois le successeur va tout de suite démonter pour reconstruire autre chose. Chacun n'effaçant pas son prédécesseur, mais construisant un peu plus loin ou en reprenant les fondations existantes. Donc le jeu, et toute la difficulté, à Karnak, est justement de creuser, de récupérer toutes les pièces manquantes et puis de reconstruire éventuellement tous les stades différents. Donc, pour être archéologue, il faut à la fois aimer les puzzles et bien se débrouiller dans tout ce qui est montage de mobilier !"
Épigraphiste en 2010 : se mettre dans les pas des faiseurs de hiéroglyphes
Bénédicte Lhoyer : "En 2010 j'ai été épigraphiste pour ce centre à Karnak et ça a été probablement la meilleure année de ma vie. L'épigraphie, c'est redessiner les hiéroglyphes et toutes les images des parois des temples. Ça a l'air simple comme ça. Mais il faut tout enregistrer, la moindre rayure, la moindre petite trace de peinture. C'est un travail de longue haleine, et de patience. Mais c'est extraordinaire de repasser après la main de l'artiste des milliers d'années auparavant. On se met à leur place. On essaie de retrouver la façon dont ils pensaient, comment ils ont construit tel monument, comment ils l'ont décoré, par quel bout ils ont commencé, où est-ce qu'ils ont terminé ? Où est-ce qu'ils sont revenus aussi reprendre certaines parois ? Parfois, on se dit : "Là, il était fatigué, il était 17 h 30 et il n'est jamais revenu, car il s'est planté au beau milieu d'une scène !"
La suite est à écouter....
A lire :
- "Ramsès II - Aux origines de la légende" (éditions Larousse)
- "Chefs-d'œuvre de l'Art Egyptien" (Larousse)
- "Les pharaons expliqués aux enfants" (Larousse)
A ne pas manquer : L'exposition "Ramsès et l'or pharaon" du 7 avril au 6 septembre 2023 à la Grande Halle.
Programmation musicale :
- FLAVIEN BERGER, Feux follets
- NOEL GALLAGHER'S HIGH FLYING BIRDS, Open the door, see what you find
- NICKODEMUS, Cleopatra in New York