Fou et folle d’histoire, pour donner là paroles à ceux, à celles, qui ne sont pas historiens, pas historiennes, mais qui portent une histoire et qui se souviennent. Que faisons-nous de nos souvenirs ? Ils sont là, enfouis, cachés, oubliés, endormis. Parfois, nous les mobilisons quand nous en avons besoin ; il faut alors farfouiller notre mémoire. Parfois, ils surgissent tout seuls, par surprise. Nos souvenirs et ceux de nos proches offrent alors l’évocation d’un passé, souvent déformé. "Ensemble, changeons l'avenir", clamait un vieux slogan politique du Parti socialiste. Le passé, lui, ne peut pas être changé, mais il est possible de s’en souvenir, ensemble. Je voudrais tant que tu te souviennes, cette histoire est la nôtre. Une mère, un fils : la famille Askolovitch… se souvenir, ensemble !
Un passé enfoui
Une histoire, plusieurs mémoires, éclatées, morcelées. Celle d’une petite fille de quatre ans, cardigan sur les épaules et visage poupon sur des photos. Une enfant juive d’Amsterdam que sa maman vient chercher à l’école accompagnée de deux policiers le 12 mars 1943. Puis plus rien pendant trois ans. Des souvenirs effacés pour survivre au traumatisme de la déportation et de la vie misérable dans les camps de Vught, Westerbork et Bergen-Belsen. Jusqu’à être délivrée de cet enfer par la Croix-Rouge grâce à de vrais-faux passeports du Honduras. C’est l’histoire d’Evelyn Askolovitch, devenue l’épouse de Roger, mère de Claude et Myriam, militante pour les juifs d’URSS, puis grand-mère, une baba étourdie et rigolote. Jusqu’en 2016, elle ne parle pas de son histoire et ne la mentionne que de manière parcellaire. D’ailleurs, pourquoi en parler ? Est-il possible de se libérer d’une telle histoire ?
"(Une amie) m'a fait envoyer par le mémorial de l'Holocauste à Washington, où la Croix-Rouge a déposé tous (s)es documents, un mail avec 25 pièces jointes. Je les ai imprimées et j'ai pleuré dessus pendant trois jours, parce que c'était la preuve – avec mon nom, Evelyn Sulzbach, et non la 'fille de', sur des fiches individuelles –, que j'avais été à Vught, Westerbork, Bergen-Belsen, que j'avais vraiment été, moi, petite fille dans les camps. Et soudain, c'est devenu la réalité, la vraie vérité, (...) et ça a changé la donne", raconte Evelyn Askolovitch.
De génération en génération
C’est une histoire dans laquelle nous découvrons des mondes disparus : celui des Juifs allemands avant le nazisme ; celui d’Amsterdam quand l’identité de cette ville était marquée par une grande communauté juive ; celui des Juifs en France, entre lutte politique, socialisme et sionisme. Ces histoires se croisent dans la famille Askolovitch, avec Roger, le mari d’Evelyn, avec Claude, leur fils, et avec Théo, leur petit-fils. Comment se transmettent ces souvenirs entre les générations ?
Claude Askolovitch, journaliste, questionne le monde comme le veut sa profession, avec toujours un regard sur le passé pour comprendre l’actualité. Dans Se souvenir ensemble, il échange avec sa mère pour explorer une histoire familiale qui est aussi sa propre histoire. Dans ce livre, Evelyn échange avec son fils, pour construire un récit, déconstruire la mémoire. C’est un fils face à sa mère, une mère face à son fils, qui se disputent, qui s’amusent et qui se souviennent, ensemble. "Ce livre, c'est la Shoah, ça pourrait être autre chose. (Ce livre raconte) comment une famille qui a connu des traumatismes se rassemble à un moment donné pour en parler", confie Claude Askolovitch.
Pour aller plus loin
- Claude Askolovitch, Evelyn Askolovitch, Se souvenir ensemble, Récit, Grasset, 2023
- Théo Askolovitch, Zoé [et maintenant les vivants] suivi de 66 jours, Théâtre, Esse que Éditions, 2023
Références sonores
- Extrait du film Les Ogres de Léa Fehner, 2014
- Archive de Roger Ascot dans Le point du 7e jour, France Culture, 13 février 1972
- Extrait du témoignage d'Anny Sulzbach, mère d'Evelyn Askolovitch, recueilli dans le cadre d'un projet néerlandais de collecte de témoignages personnels sur la Seconde Guerre mondiale
- Chanson Le Petit Train par les Rita Mitsouko, 1988
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020