Au début de l’année 1918, en pleine Guerre mondiale, les Français et les Françaises sont habitués à la liste des morts ; les nécrologies sont fournies. Certains décès passent inaperçus, mais ils sont importants. Le 13 janvier 1918, Le Figaro, annonce la mort de "Charles-Émile Reynaud, l’inventeur du praxinoscope, créateur des pantomimes lumineuses au musée Grévin, et qui fut le père du cinématographe". Quelques semaines plus tard, le 22 mars 1918 ; le journal Oui précise : "Émile Reynaud, l’inventeur du praxinoscope, vient de mourir. Il fut le créateur du théâtre optique et des pantomimes lumineuses, qu’il présenta à Paris en 1892. Émile Reynaud fut un des précurseurs de notre moderne cinématographe." Il avait 73 ans et son œuvre est la source des dessins animés qui ont illuminé nos rêves d’enfants.
Aux origines du cinéma d’animation, les lanternes magiques
"On avait bien inventé, pour me distraire les soirs où on me trouvait l’air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en attendant l’heure du dîner, on coiffait ma lampe ; et, à l’instar des premiers architectes et maîtres verriers de l’âge gothique, elle substituait à l’opacité des murs d’impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané". La lanterne magique qui éclaire les nuits du jeune narrateur dans le premier tome d'À la recherche du temps perdu existe depuis le XVIIe siècle. Elle est l’ancêtre d’une série d’inventions qui, tout au long du XVIIIe et du XIXe siècles, révolutionnent le domaine de l’optique et préfigurent l’arrivée du cinématographe et du cinéma d’animation. "Les lanternes magiques permettaient de projeter un spectacle à l’aide de plaques dessinées sur verre. Il s’agissait de plaques simples ou à systèmes. On pouvait créer du mouvement à l’aide de deux plaques superposées", explique Sylvie Saerens.
Émile Reynaud, inventeur du cinéma d’animation
Du Fantascope au Phénakistiscope en passant par le Zootrope, l’illusion d’une image en mouvement n’est pas seulement une prouesse technique, mais aussi un spectacle captivant, qui amuse et séduit les foules. Les enfants du XIXe siècle se voient offrir d’étonnants jouets optiques, tandis qu’on se presse dans les foires pour assister à ces projections fabuleuses. L’invention du photographe, professeur de sciences et inventeur Émile Reynaud marque cependant une rupture. Il dépose en 1877 un brevet pour le Praxinoscope, un jouet d'optique dont l'obturation est assurée par des miroirs prismatiques et rotatifs. Le cylindre est recouvert d’une bande de dessins que les miroirs en rotation reflètent, donnant l’illusion du mouvement.
À partir de 1878, l'appareil est commercialisé et rencontre un franc succès. Dès lors, Émile Reynaud imagine des variantes ingénieuses, jusqu’à mettre au point les pantomimes lumineuses, projetées à l’aide de son invention de 1888, le Théâtre optique. L’appareil peut projeter des bandes perforées, entièrement peintes à la main, pour raconter de véritables histoires avec des décors, des trucages, des gags et des rebondissements. Les pantomimes de Reynaud, projetées jusqu'en 1900 au Cabinet fantastique du musée Grévin, rencontrent un immense succès et attirent un demi-million de spectateurs. "La première projection de dessin animé sur écran a lieu le 28 octobre 1892. Le public était nombreux, les places étaient payantes", souligne Sylvie Saerens. Elle ajoute : "Le Théâtre optique est l'aboutissement de tout ce qu’Émile Reynaud a inventé auparavant. Ces pantomimes lumineuses ont 500 à 600 poses qu’il dessine et peint à la main."
Vers les premiers dessins animés
Il faut cependant attendre 1908 pour que l’image animée ne devienne cinématographique. Émile Cohl, caricaturiste, comédien et magicien, proche des milieux littéraires et artistiques de la Belle Époque, réalise en 1908 le dessin animé Fantasmagorie, souvent considéré comme le premier film d'animation au monde. Inspiré par les créations du réalisateur américain James Stuart Blackton, Émile Cohl propose de petites saynètes animées, où des personnages interagissent les uns avec les autres dans une succession de métamorphoses et de gags. "Ce sont des traits blancs sur un fond noir. Il n’y a absolument aucun décor. Ce qui guide l’évolution du mouvement, c’est la métamorphose. Ces personnages sont libres de tout, de se transformer en chapeau, en éléphant ou en maison. Ils ont tous les droits. C’est la raison pour laquelle on rapproche souvent Émile Cohl des surréalistes", souligne Pascal Vimenet.
Réalisateur de plus d’une centaine de films, Émile Cohl invente même le principe du dessin animé feuilletonnant au personnage régulier, avec Fantoche, un petit clown maladroit, et préfigure les grandes innovations du dessin animé standardisé des années 1920 qui voient émerger les figures de Popeye, Mickey Mouse ou Félix le Chat.
Pour aller plus loin
- Sylvie Saerens, Sébastien Roffat, Pascal Vimenet (dir.), Émile Reynaud. Nouveaux Regards, L’Harmattan, juin 2023
- Jean-Baptiste Massuet, Le Cinéma virtuel – De la performance capture aux imaginaires numériques des formes cinématographiques contemporaines, Georg Éditeur, 2022
- Pascal Vimenet, Bérénice Bonhomme, Patrick Barrès (dir.), La Fabrique de l'animation - Pièces filmiques en chantier, L’Harmattan, 2021
- Jean-Baptiste Massuet, Le Dessin animé au pays du film – Quand l’animation graphique rencontre le cinéma en prises de vues réelles, Presses universitaires de Rennes, 2017
Références sonores
- Archiva INA au sujet de l'histoire des dessins animés, Actualités françaises, 1946
- Lecture d'André Dussollier d'un extrait du roman Du côté de chez Swann de Marcel Proust
- Archive INA de Lotte Eisner à propos du zootrope et le chronophotographe, Actualités françaises, 1961
- Musique Serenadea Colombine, premières musiques de film
- Archive INA d'Henri Langlois, directeur de la Cinémathèque, RTF
- Archive INA à propos d'Émile Reynaud, RTF, 1947
- Archive INA au sujet des fantoches d'Émile Cohl, 19 novembre 1943
- Extrait de La Linea du dessinateur Osvaldo Cavandoli, 1971
- Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020