Édouard III et Philippe VI, deux rois pour une couronne... Le titre sonne bien, avec deux personnages clairement identifiés, le roi d’Angleterre et celui de France, et l’intrigue : une vive rivalité pour une couronne. En réalité, cette histoire compte beaucoup plus de personnages, beaucoup trop même, n’importe quel scénariste vous le dirait : en plus d’Édouard III et de Philippe VI, il y a Philippe le Bel et ses trois fils, Louis X le Hutin, Philippe V le Long, Charles IV le Bel… et une fille, Isabelle de France, mariée au roi Édouard II d’Angleterre. Et encore, ce n’est pour évoquer que le début de l’intrigue, qui se prolonge, avec encore d’autres personnages, longtemps, longtemps, au moins cent ans !
La fin des Capétiens, une crise de succession inédite
C'est une histoire de succession et de querelle dynastique. À la mort de Louis X, fils aîné de Philippe le Bel, il n'y a pas d'héritier masculin direct pour succéder à la couronne de France. Son frère Philippe V est désigné roi et la décision fait jurisprudence : "Femme ne succède pas au royaume de France." L'affaire se répète à la mort de Philippe V, puis à celle du dernier frère, Charles IV. Le royaume de France est alors de nouveau plongé dans une crise de succession. Isabelle de France, sœur des Capétiens défunts, a, elle, un héritier masculin : Édouard III, qui a moins de vingt ans et est roi d'Angleterre. Alors que la coutume française ne tranche pas la question, c'est finalement le neveu de Philippe le Bel, Philippe VI de Valois, qui est nommé roi, fort du puissant soutien des barons du royaume.
L’historien Jean-Marie Moeglin explique que "Philippe VI de Valois est le cousin germain du dernier roi. Il était proche de Charles IV le Bel et il est probable que ce dernier, s'il n'avait pas de fils, aurait été d'accord avec la succession de Philippe de Valois. De plus, le parti Valois est très puissant. Donc, en 1328, il s'est imposé sans trop de difficulté, surtout qu'il remporte la bataille de Cassel contre les Flamands, ce qui est la légitimité qui vient de Dieu. Un roi victorieux est un roi légitime. Ce sera plus tard le drame du roi de France, quand il est écrasé par le roi d'Angleterre. Cette légitimité qu'il tient des armes, de la victoire donnée par Dieu, sera remise en cause."
Édouard III, roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine
C'est également une histoire de fiefs et de vassalité. Édouard III n'est pas seulement roi d'Angleterre. Duc de Guyenne – terme dérivé d'Aquitaine – et comte de Ponthieu, il est un encombrant vassal pour le roi de France. La rivalité entre les souverains se cristallise autour du duché de Guyenne, que le roi de France n'hésite pas à confisquer en représailles. C'est pourquoi Édouard III, en fin stratège, joue la carte de la succession pour défendre ses revendications territoriales. En 1337, il se présente comme l'héritier légitime du royaume de France et défie Philippe VI de Valois, qu'il qualifie d'usurpateur. Débute ce que les manuels d'histoire appellent la "guerre de Cent Ans".
L’historien britannique Christopher Fletcher relève que l'expression "guerre de Cent Ans" a un sens surtout du point de vue français : "Les rois d'Angleterre ont bien conscience que, depuis la conquête normande en 1066, le roi d'Angleterre a toujours été un des plus grands princes du royaume de France. Et donc, du point de vue (anglais, ndlr), (les conflits) ne commencent pas en 1337 ou en 1340, mais remontent au XIIe ou XIIIe siècle, avec le besoin, pour les rois d’Angleterre, de défendre leurs terres en France, qui sont aussi importantes que leurs terres en Angleterre."
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Le Pourquoi du comment : histoire
Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.
Pour en parler
Jean-Marie Moeglin est professeur d'histoire culturelle du Moyen Âge à Sorbonne Université, directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études et membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Il a notamment publié :
Christopher Fletcher est chargé de recherche CNRS au laboratoire IRHiS à l'Université de Lille, spécialiste d'histoire politique, de culture politique et de la masculinité en Angleterre à la fin du Moyen Âge.
Il a notamment publié :
Références sonores
- Archive de Georges Duby à propos de la guerre de Cent Ans, Analyse spectrale de l'Occident, RTF, 28 février 1959
- Extrait de la fiction radiophonique L'Histoire de France vue par les dramaturges étrangers, RTF, 18 janvier 1962
- Chanson On est les rois par Roger Nicolas
- Lecture par Anna Holveck et Jeanne Delecroix d'un échange de lettres entre Édouard III et Philippe VI en 1340 au siège de Tournai, tel qu'il est donné par les Grandes chroniques de France, traduction en français modernisé de Jean-Marie Moeglin
- Archive sur sur la bataille de Crécy en 1346, Carte postale Crécy en Ponthieu haut lieu de l'histoire de France, Picardie Actualités, 24 octobre 1969
- Générique de l'émission : Origami de Rone