Dans son livre Politiques de l’inimitié, (La Découverte, 2016) Achille Mbembe affirme que la circulation sera le maître-mot du XXIe siècle. L’inégale répartition des capacités de mobilité et les violences qui y sont associées sont pour lui l’une des grandes caractéristiques de notre temps, incarnation de ce qu’il nomme la « nécropolitique », ou la capacité du pouvoir à décider de la mort. « L'Europe est parsemée de camps mais ce n'est pas uniquement une affaire européenne, on pourrait parler de l'Australie, des Etats-Unis, de l'Afrique du Sud où la déportation des étrangers venue des Etats voisins, fait partie du fonctionnement normal de l'Etat sud-africain. » Face à ce qu’il qualifie de “désir d’apartheid” de la part des démocraties occidentales, Achille Mbembe plaide depuis de nombreuses années pour une ouverture totale des frontières sur le continent africain. L’avenir de ce continent, c’est aussi par la nécessaire circulation des idées qu’Achille Mbembe le pense, en créant notamment avec son ami sénégalais l’écrivain et universitaire Felwinn Sarr Les ateliers de la pensée de Dakar.
L'Europe refuse une circulation dont elle est à l'origine
L'historien revient également sur les origines de l'inégale répartition des capacités de mobilité. Il rappelle que les démocraties occidentales animées par le désir de découvrir d'autres régions du monde, ont été à l'origine des grands mouvements de circulation, et ce dès le XVe siècle. En effet, la question s'est posée de savoir « en quoi consiste le globe, qui l'habite, à qui appartient-il et comment le partager de telle sorte qu'il soit profitable aux puissants. » L'Europe a organisé l'érection des frontières, des couloirs de circulation, et a participé « à la mobilité forcée des populations » par le biais de la colonisation ,de la traite des esclaves et des guerres.
Plus controversé, il revient aussi sur l’organisation du sommet Afrique-France de Montpellier en 2021 à l’invitation d’Emmanuel Macron. Accusé alors d’avoir accepté de servir de caution intellectuelle au président français, Achille Mbembe défend sa liberté de ton et appelle à une refondation totale des relations entre l’Afrique et la France, face aux chantiers immenses des « différents à apurer » : franc CFA, interventions militaires, ressentiment à l’égard des entreprises françaises, durcissement de la politique migratoire, impasses mémorielles » et « appui présumé de la France à la tyrannie sur le continent ».
Générique
Une série d’entretiens proposée par Amélie Perrot. Réalisation : Marie Plaçais. Chargée de programme : Daphné Abgrall. Prise de son : Matthieu Leroux. Coordination : Cécile Bidault.
Pour aller plus loin
« Les nouvelles relations Afrique-France : Relever ensemble les défis de demain » : rapport remis par Achille Mbembe à Emmanuel Macron en octobre 2021 à l’occasion du sommet Afrique France.
Les ateliers de la pensée de Dakar
Bibliographie sélective
La communauté terrestre, Achille Mbembe, Editions La Découverte, 2023.
Brutalisme, Achille Mbembe, Edition La Découverte, poche 2023.
De la postcolonie, Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Achille Mbembe, La Découverte, dernière édition 02/2020.
La guerre du Cameroun, L’invention de la Françafrique (1948-1971),Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, préface d’Achille Mbembe, La Découverte, 2016.
Politiques de l’inimitié, Achille Mbembe, La Découverte, 2016.
Sortir de la grande nuit, Essai sur l’Afrique décolonisée, Achille Mbembe, La Découverte, 2013.
Critique de la raison nègre, Achille Mbembe, Éditions La Découverte, poche, 2013.
L’ivrogne dans la brousse, Amos Tutuola, 1952, réédition chez Gallimard en 2006.
Afriques Indociles, Achille Mbembe, Karthala, 1988.
Ruben Um Nyobé : Le problème national camerounais , Achille Mbembe, L’Harmattan, 1985.