Écrivains, musicologues et ethnomusicologues nous éclairent sur des états"seconds", des états modifiés de conscience, dont nous n’avons qu’une représentation parodique, tronquée par son utilisation lacunaire dans la production culturelle occidentale. L’extase et la transe : deux termes aux mythologies convergentes, souvent utilisées à tort et à travers pour indiquer un état quelconque de conscience altéré. On se dit "en extase" devant une œuvre d’art, ou "en transe" devant telle ou telle chanson. Ce sont pourtant des termes précis qui signifient des choses bien différentes.
"Dans la Grèce antique, on distinguait quatre types de transes : érotique, artistique, divinatoire, et rituelle." Georges Lapassade, psychosociologue
Là où l’extase, du grec "ekstasis", être hors de soi, est une expérience solitaire de l’ineffable qui ne se manifeste quasiment pas dans le monde phénoménal, la transe, elle, est plus radicale, plus spectaculaire, une dépossession totale de soi. C’est le corps qui devient l’avatar de ce voyage de l’esprit, de cette mise à mal du solipsisme humain : il convulse, il vibre, il chante, il danse, il crie, jusqu’à ce que l’âme revienne à elle-même.
"Le chamanisme est un voyage imaginaire dans un autre monde, alors que la possession est un changement imaginaire d'identité." Gilbert Rouget, ethnomusicologue
Pour Gilbert Rouget, l’un des traits principaux de la transe est l’amnésie : après une transe, on ne se souvient absolument pas de ce qu’il s’est passé. Bien au-delà de l’ineffable de l’extase donc, que les textes religieux et mystiques ont échoué pendant des siècles à décrire, la transe est comme un trou noir dans le flux de notre conscience, mais qui se manifeste concrètement aux yeux d’autrui. Et c’est bien là que la transe prend toute son épaisseur sociale : des rituels entiers peuvent être bâtis autour de la transe, volontaire celle-ci, d’un chaman, ou bien d’une transe collective qui peut prendre n’importe quel participant de manière subite et inattendue. Pour Claude Levi-Strauss, une société "à transe" est une société ou tout un chacun a accès au culte de possession même s'il ne le pratique pas, comme au Maroc et au Brésil, encore de nos jours. "Peut-être l'hystérie, comme malheur individuel, vient-elle de la perte de la transe." Georges Lapassade
- Par Daniel Caux
- Avec Georges Lapassade (sociologue), Gérard Tourtrol, Daniela Langer et Gilbert Rouget (ethnomusicologue)
- Euphonia - L’extase et la transe : 1/5 (1ère diffusion : 06/06/1988)
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Retrouvez l'ensemble du programme d'archives "Entre musique et danse, la transe dans tous ses états" proposé par Mathias Le Gargasson.
