Née en 1797, Mary Shelley est l’une des figures féminines du roman gothique anglais, si ce n’est la mère de la science-fiction. Fille de deux personnalités éminentes de son temps, la féministe Mary Wollstonecraft et le libéral William Godwin, elle est très tôt baignée dans un milieu érudit qui la pousse à considérer son époque : la pensée politique héritée de la Révolution française, le règne de la raison légué par les Lumières ainsi que la révolution scientifique qui a eu cours au 18e siècle. C’est avec son roman Frankenstein ou le Prométhée moderne paru en 1818 qu’elle entre en littérature (et passe à la postérité). Interrogeant le mythe du progrès à travers les dérives du monstre créé par le Dr Victor Frankenstein, elle propose une réflexion connexe sur les leurres de la raison humaine, le progrès insatiable ou encore l’hubris productive d’un créateur - autant de thèmes qui ont des résonances contemporaines.
Maîtresse de l’art de la science-fiction, elle est aussi la mère du roman d’anticipation. C’est avec Le dernier homme (1826), qu’elle met également au cœur de son récit les thématiques économiques : roman post-apocalyptique dans un monde ravagé par une pandémie, il interroge l’interdépendance économique, l’avidité mondialisée et le nécessaire respect de la nature et de ses lois. Au-delà de l’aspect thématique de ses romans, l’économie est enfin présente dans le parcours de Mary Shelley : héritière de l’intérêt que portent ses parents à la discipline, elle s’intéresse tout aussi personnellement à la place des femmes dans la société (et dans la famille) et devient, à la mort de son mari, une écrivaine en propre, qui gagne sa vie par sa plume.
Victor Frankenstein : les dérives de l’entrepreneur moderne
Le père de Mary Shelley, protestant non-conformiste et petit entrepreneur, lui enseigne l’idée de la perfectibilité. "Le docteur Frankenstein est, à mon sens, le prolongement de William Godwin [le père de Mary Shelley]. Il est l’incarnation survoltée de la foi dans le progrès, de la foi dans la science qui animait William Godwin. C’est ainsi qu’il est amené à se lancer dans un pari absolument insensé", analyse Alain Morvan.
Le dernier homme, ou la naissance du roman d'anticipation
Dans Le dernier homme, Mary Shelley raconte l’histoire de Lionel Verney, survivant d’une Europe en proie à une grande pandémie. Le roman, qui se déroule en 2013, résonne particulièrement aujourd’hui : « A travers Le dernier homme*, Mary Shelley invente le genre post-apocalyptique. Il se passe en pleine pandémie (…) et elle va anticiper absolument toutes les problématiques dont nous parlons maintenant à longueur de journée : la question de la décroissance, la question de la pollution, des migrations liées au dérèglement climatique. Tout est dans le texte de Mary Shelley, littéralement* », pointe Hélène Frappat.
Pour aller plus loin
- Hélène Frappat : Le gaslighting ou l’art de faire taire les femmes, L’observatoire, 2023
- Frankenstein et autres romans gothiques, La Pléiade, 2014 : une coédition d'Alain Morvan et Marc Porée
- Dracula et autres textes vampiriques, La Pléiade, 2019 : textes traduits, présentés et annotés par Alain Morvan
Références sonores
- Extrait du film « Mary Shelley » réalisé par Haifaa Al-Mansour en 2018
- Lecture d'un extrait de « Défense des droits de la femme » (1798) de Marie Wollstonecraft
- Lecture d'un extrait de Frankenstein de Mary Shelley, 1818
- Extrait du film "Frankenstein" réalisé par James Whale en 1931
- Lecture d'un extrait de Le dernier homme de Mary Shelley, 1826
Références musicales
