Pour comprendre comment les fausses informations scientifiques se construisent, se propagent et persistent, Avec Sciences propose une programmation spéciale. Toute la semaine, nous allons disséquer des fake news. Et aujourd’hui sur notre table d'autopsie : les "turbo-cancers".
Il faut le dire d’emblée, les “turbo-cancers” ne renvoient à aucun terme médical. Ils ont été popularisés par Alexandra Henrion-Caude, ancienne directrice de recherche à l’Inserm, devenue figure de proue des opposants à la vaccination contre le coronavirus. Ces “turbo-cancers” seraient des cancers particulièrement agressifs, causés par la vaccination.
D'où vient cette infox ?
Tout démarre de la mauvaise interprétation ou manipulation d’un article scientifique qui rapporte l’embrasement d’un lymphome, c’est-à-dire le développement rapide d’un cancer du système immunitaire après la vaccination.
Jérôme Barrière est oncologue à Cagnes-sur-Mer et co-auteur d’une tribune de scientifiques parue dans L’Express, qui ont ensemble creusé la littérature scientifique sur le sujet : "En fait, c'est basé sur une publication de 2022 d'un cas, une personne qui avait un lymphome et après vaccination, après sa troisième dose de vaccin, il a constaté, a été constaté une accélération de son lymphome. Ce qu'on a regardé aussi, c'était, est-ce que c'est vrai pour d'autres, d'autres cancers ? Et en fait, non. On n'a pas retrouvé de liens publiés de cas de cancer du sein, du pancréas, par exemple, ou du poumon, qui auraient été favorisés ou accélérés par la vaccination anti-Covid. Est-ce qu'il y a d'autres cas de vaccination qui auraient pu accélérer des lymphomes ? Oui, on a trouvé un cas d'accélération potentielle de stimulation après une vaccination anti-grippe."
Petite particularité, le patient qui a fait l’objet de la première publication est aussi chercheur… et co-auteur. Il a longuement hésité avant de publier son propre rapport de cas parce qu’il savait que cela pourrait abreuver les marchands de doute. Au total, une petite dizaine d’accélérations de lymphomes ont été rapportés depuis 2023 suite au vaccin.
Les patients avaient déjà la maladie
La découverte de ces rares cas ne signifie pas que la vaccination peut déclencher un cancer. Jérôme Barrière : "Il faut bien comprendre que ces cas-là — les gens qui étaient vaccinés — avaient déjà la maladie, ils avaient déjà le lymphome. Et il est possible, voire très probable, que la vaccination ait pu entraîner une inflammation qui a accéléré le processus lymphomateux. Après, les gens ont été traités, mais en aucun cas la vaccination en elle-même a créé le mécanisme physiopathologique pour aboutir à la première cellule cancéreuse."
Un lien existe bel et bien entre lymphome et vaccination, mais c’est extrêmement rare, dix cas sur les milliards de doses injectées. En réalité, c’est le changement d’échelle qui nous permet de les observer. Plus on vaccine, plus on a de risque de voir apparaître des effets secondaires très rares. C'est d'ailleurs ce qu'il s'était passé avec les myocardites, on ne pouvait tout simplement pas les voir dans les premières études de développement des vaccins.
Davantage de cancers chez les jeunes ?
Reste une dernière question, associée à celle-ci, et qui a fait l’objet d’une publication dans le British Medical Journal, y a-t-il une augmentation des cancers, en particulier chez les jeunes ?
Jérôme Barrière : "Et donc oui, il y a plus de cancers aujourd'hui déjà parce que la population vieillit. Mais un peu plus aussi chez les jeunes. Et ça, vous savez que ça n'a aucun rapport avec la vaccination, puisque pour faire un cancer, on estime que c'est 5 à 10 ans. Donc, là, déjà, sur le plan de la chronologie, on a commencé à vacciner en 2021. Tout ça est absurde : dire que quelque chose, en six mois, pourrait déclencher, créer un phénomène cancéreux. En fait, il y a d'autres explications, beaucoup plus scientifiques. Parce que malheureusement, notre mode de vie est tel aujourd'hui qu'on est plus exposé à des petits facteurs qui, mis bout à bout, multipliés, créent sur une population globale un risque accru et donc plus de cas."
C’est donc là aussi mécanique. Chez les moins de 50 ans, la frange considérée quand on parle des jeunes, le nombre absolu de cancers a bondi de 80 %, mais l’incidence — donc le nombre de cancers rapporté à la population — n’a augmenté que de 22 %. L'ensemble de cette publication et ces chiffres sont développés dans un article paru dans Le Figaro. Et c’est le fait de petits risques mis bout à bout, et on parle ici du monde entier. Alors qu’en France, les cancers ont plutôt tendance à diminuer chez les hommes de moins de 60 ans.