Dans Jane Eyre de Charlotte Brontë, une mystérieuse et effrayante créature, étrange bête sauvage et hyène enragée, hante le grenier et met le feu à la maison. Cette folle furieuse, c’est l’ex-femme de Mr Rochester qu’il a fait enfermer et surveiller.
A la fin des années 70, des essayistes américaines ont proposé une relecture féministe et un nom à ce topos de la littérature victorienne : “The Mad Woman in the attic”. La femme folle dans le grenier.
Dans la fiction, cette figure de la femme folle a donné lieu à une généalogie de personnages monstrueux, ridicules, et parfois érotiques. C’est la femme au foyer au bord de la crise de nerfs dans sa cuisine, mais aussi l’écrivaine « vierge folle », ou l’adolescente arachnéenne de « l’Exorciste », qui fait l’arc hystérique.
L’écrivaine, Hélène Frappat, rappelle : “L’hystérie c’est un mot qui vient de la peur. C’est la même chose que le gore dans le cinéma américain c'est quand quelque chose qui est à l'intérieur : les organes, le sang, les viscères, tout ce qu'on ne voit pas dans le corps, tout sort et va être montré à l'extérieur. Car l’hystérie corrèle la femme à son intérieur. Et le fluide le plus dangereux de la femme, c'est la voix, c'est la parole.”
Par ailleurs, elle explique : “Les femmes sont réduites à l'intérieur, c’est-à-dire aux organes, à l'utérus mais aussi à l’intérieur : de leur cuisine. Et ensuite, quand la femme a bien moisi dans sa cuisine, que ça l’a rendue dingue d'ennui, on peut dire qu’elle est à nouveau hystérique. Il y a énormément de ces personnages de femmes au foyer qui pètent les plombs.”
Dans la réalité, ce sont Sylvia Plath, Zelda Fitzgerald, Madeleine Pelletier, Camille Claudel, Ada Lovelace, Anne Sexton…. des générations d’artistes et de femmes savantes envoyées à l’asile.
Après une partie de sa jeunesse passée à l’hôpital psychiatrique, la poétesse Séverine Daucourt est devenue psychologue « l’hystérie c’est un état comme un autre, ce n’est pas une figure négative. Au contraire : le corps devient le théâtre d’une scène inconsciente. C’est ce que je trouve poétique»
Le sociologue Jean Yves Le Talec a cofondé le mouvement des Sœurs de la perpétuelle indulgence en France, « un mouvement de folles radicales ». « Une folle à l’origine c’est un terme historique qui désigne un homme homosexuel efféminé, c’est considérer l’homosexualité comme une déviance de sexualité associée à une déviance de genre et psychiatriser ces supposées déviances. Le professeur Charcot au XIXe englobe l’homosexualité masculine dans le diagnostic d’hystérie. Mais le terme « folle » c’est employé aujourd’hui comme une réappropriation et la "folle hystérique" c’est la folle qui en rajoute, dans une forme d’excès de la gestuelle, de la parole, de l’apparence, de la posture. Ça met en avant l’idée que les normes de genre ne sont qu’une représentation. C’est aussi un moyen de faire rire ceux qui vous oppressent et de trouver une place si petite soit-elle dans un monde de contraintes imposées par la norme.».
Hélène Frappat conclut « L’hystérie c’est une fiction. Puisqu’on est pas censé.e.s être crédibles, cessons alors de croire à certains choses qui sont dites de nous.».
Un documentaire de Pauline Chanu, réalisé par Annabelle Brouard.
Intervenant.e.s :
- Hélène Frappat : écrivaine
- Silvia Lippi : psychanalyste, psychologue hospitalière en institution psychiatrique, ancienne danseuse, co-autrice du livre à paraître en septembre 2023 "Sœurs. Pour une psychanalyste féministe" (Seuil)
- Aude Fauvel : historienne, spécialiste de la psychiatrie et des mouvements de patients, des sciences sociales sur la médecine.
- Aurélie Cachera : maitresse de conférence en histoire des représentations et en littérature germanophone à l’Université d’Angers, psychologue clinicienne, psychanalyste, autrice de “Le Geste hysterique autour de 1900. formules de pathos a la salpetriere (PSN, Sorbonne Nouvelle)
- Séverine Daucourt : poétesse, psychologue, autrice de “Les éperdus” (éditions Lanskine)
- Rae Beth Gordon :spécialiste de littérature française et d’histoire des idées, autrice de “De Charcot à Charlot. Mise en scène du corps pathologique” (Presse universitaire de Rennes), ancienne chanteuse
- Noémie Grunenwald : traductrice, autrice de "Sur les bouts de la langue : traduire en féministe/s" aux éditions La Contre Allée, fondatrice de la maison d’édition associative “Hystérique et associé.e.s”
- Hervé Antoine Munz : anthropologue danseur et performeur
- Jean Yves le Talec : sociologue, spécialiste santé, sexualité et genre, auteur de “Folles de France. Repenser l’homosexualité masculine” (La découverte), cofondateur de l’association des Soeurs de la perpétuelles indulgence en France
Archives :
- Les sœurs de la Perpétuelle Indulgence, Sur les docks, France Culture, 2006
- Sept jours du Monde, RAI, Radio Audizioni Italia, 1964
- Zouc, Le Miroir des autres, Charles Brabant, 1976, TF1
- Jane Eyre, Franco Zeffirelli, 1996
Bibliographie :
- De Charcot à Charlot, Mises en scène du corps pathologique, Rae Beth Gordon (Presse universitaire de Rennes)
- Le Geste hystérique autour de 1900. Formules de pathos a la Salpêtriere chez Arthur Schnitzler et Trude Fleischmann, Aurélie Cachera (PSN, Sorbonne Nouvelle)
- Le terre du remords, Ernesto de Martino, Gallimard
- Jane Eyre, Charlotte Brontë, Gallimard
- Le Papier peint jaune, Charlotte Perkins Gilman, (Tendance négative)
- Zouc par Zouc, Entretien avec Hervé Guibert,
- Journaux, Sylvia Plath (Gallimard)
- Accordez-moi cette danse, Zelda Fitzgerald (Robert Laffont)
- Mes mémoires, Jane Avril
- L’Invention de l’hystérie, Georges Didi-Huberman (Macula)
- Francesca Woodman, Devenir, un ange (Xavier Barral)
- Je transporte des explosifs on les appelle des mots, Poésie et féminisme aux Etats-Unis (Cambourakis)
- The Madwoman in the Attic: The Woman Writer and the Nineteenth-Century Literary Imagination is a 1979, Sandra Gilbert and Susan Gubar
- Les Eperdu(e)s, Séverine Daucourt (Lanskine)
- Monsieur Vénus, Rachilde (L’imaginaire, Gallimard)
- 7 femmes en scène, Juliette Riedler (L’Extrême contemporain)
Filmographie :
- Une femme sous influence, John Cassavetes
- Gaslight, George Cukor
- Jane Eyre, Franco Zeffirelli
- Girl interrupted, James Mangold
Remerciements : Merci à Gérard Watkins ,Mâkhi Xenakis, Selin Altiparmak
Documentation sonore et musicale : Marion Guilhen, Antoine Vuilloz, Abigail Sanz, Anne-Lise Signoret et Mylène Touchais
Illustrations sonores :
- Brigitte Fontaine - Folie Furieuse
- Ludovico Einaudi - Projet Tarantella
- Polaire - Il y A 100 Ans Les Années 10
- Ma chanson - Eugenie Buffet