Jamais dans l’histoire économique contemporaine un pays n’a été aussi lourdement sanctionné que la Russie. Depuis 2014, depuis l’annexion de la Crimée, et plus encore depuis l’agression contre l’Ukraine il y a 11 mois déjà, Européens, Américains, Canadiens, Australiens et Japonais ont ciblé des secteurs entiers de l’économie russe en même temps qu’une longue liste d’institutions, de dirigeants politiques et de personnalités des milieux d’affaires. Quel est donc aujourd’hui l’impact réel de ces sanctions annoncées par paquets au fil des mois ? Leurs objectifs n’ont jamais été clairement énoncés, sinon d’évidence l’ambition de punir Vladimir Poutine, d’affaiblir ses ressources et d’entraver l’effort de guerre géré par le Kremlin. Pour le moment, on n’en voit guère les signes – même si certains matériels sophistiqués ont disparu des radars, on craint une deuxième conscription de masse et une nouvelle offensive au printemps. Contre toute attente, l’économie russe a tenu bon. Comment et pourquoi ? Moscou ne publie plus d’indicateurs économiques, aucune statistique, sauf à dénoncer à des fins de propagande l’effet boomerang qu’infligeraient les sanctions sur nos propres modes de vie alors que c’est bien de la guerre qu’il s’agit. Quels sont donc les facteurs qui ont permis aux secteurs clé de cette économie russe basée sur l’extraction des matières premières de s’adapter jusqu’ici aux mesures de rétorsion occidentales ?
Que sait-on des réactions de la population?
Qui est à la manœuvre pour les contourner - la Turquie, l’Inde, la Chine ? Certains imaginaient que les oligarques, les industriels, les financiers directement visés se retourneraient contre leur président. Qu’en est-il ? Que sait-on des réactions de la population exposée, dans les grandes villes en tout cas, à certaines privations, à l’isolement informationnel comme au blocus numérique ? Rupture des chaînes de valeur, plus d’accès aux pièces détachées, aux semi-conducteurs. Quel impact, à moyen terme, sur les capacités russes en termes de progression et d’innovation ? Sommes-nous là aussi à un tournant ?
Agathe Demarais est l’auteur d’un essai paru récemment en anglais aux éditions des presses universitaires de Columbia (Columbia University Press), Backfire : comment les sanctions dressent le monde contre les intérêts américains (Backfire : How Sanctions Reshape the World Against U.S. Interests). Tatiana Kastouéva-Jean a écrit La Russie de Poutine en 100 questions, aux éditions Tallandier (2020). Sébastien Jean est le co-auteur avec l'économiste Isabelle Bensidounet l'illustrateur Enzode La folle histoire de la mondialisation, un ouvrage paru aux Arènes (202