Ce mot « Finlandisation » a été prononcé par Emmanuel Macron lors d’une discussion off avec des journalistes dans l’avion qui le conduisait à Moscou en début de semaine.
Et il a déclenché de telles réactions que l’Élysée a dû rétropédaler et préciser officiellement, je cite,
« il n’est pas question d’une Finlandisation de l’Ukraine ».
Alors de quoi s’agit-il ? Et pourquoi une telle tempête ?
Le mot a été prononcé pour la première fois il y a 60 ans par des diplomates allemands : « Finlandisierung ».
Pour qualifier la position politique très particulière de la Finlande, au nord de l’Europe : le choix fait par ce pays, après la Seconde Guerre Mondiale et pendant toute la guerre froide, d’adopter une forme de neutralité vis-à-vis de la Russie. Ni à l’Ouest ni à l’Est.
Mais ce concept n’a pas laissé que de bons souvenirs dans le pays : c’était une neutralité contrainte, pour ménager Moscou, avec de l’autocensure, un renoncement à critiquer les positions diplomatiques russes. Un choix subi, incarnation d’un manque de souveraineté, d’un diktat des grandes puissances pour ménager les équilibres.
La réapparition de ce mot surgi du passé a donc suscité cette semaine des commentaires courroucés en Finlande.
Et aussi en Ukraine : le gouvernement de Kiev revendique la liberté de choisir son camp, ce qui s’entend parfaitement. Question de souveraineté.
Conclusion : « Finlandisation », terrain glissant, mot tabou, hop on le remet dans sa culotte.
Entre l'Est et l'Ouest
Et pourtant c’est une idée à explorer parce que c'est une forme de compromis.
En gros l’idée appliquée à l’Ukraine, ce serait quoi ?
Là aussi, une forme de neutralité entre l’Est et l’Ouest. Une garantie de démocratie, un équilibre dans les choix commerciaux, pas de risque d’occupation russe. Mais rien de plus.
Et peut-être un accord territorial qui laisserait la Crimée à la Russie. Douloureux pour l’Ukraine.
Ça peut apparaître comme une version 2022 des accords de Munich avec l’Allemagne nazie en 1938. Une concession faite à Moscou. Injuste au regard du droit, oui.
Mais pragmatique. Comme on dit dans les divorces, mieux vaut un mauvais accord qu’un bon procès.
Et en l’occurrence, ce n’est pas un procès que ça pourrait éviter, c’est une guerre. Et en plus une guerre que les Occidentaux n’ont pas très envie de mener. Vladimir Poutine la conduirait avec moins d’états d’âme.
Et puis il suffit de regarder une carte : de fait l’Ukraine se trouve entre l’Est et l’Ouest du continent. Dans une forme de continuité avec la Russie.
Dire ça n’est pas s’aplatir devant Poutine, c’est juste faire de la géographie.
Et le seul autre pays européen comparable, avec une frontière tout aussi immense avec la Russie (près de 1500 km), c’est… la Finlande ! On y revient.
Renoncer à une adhésion de l’Ukraine à l’Otan, ça ne serait pas davantage baisser son pantalon : il n’y a pas de procédure d’adhésion engagée, et Paris et Berlin s’y sont même opposés par le passé.
Quand les enchères montent, le seul moyen pour éviter le conflit, c’est le compromis où personne ne se sent humilié : la « Finlandisation ».
Le pari du temps long
Vu que le mot suscite une levée de boucliers, une option, c’est de le faire sans le dire.
Petit tour de passe-passe diplomatique. On ne prononce plus le mot, il est trop irritatif. Mais on défend le raisonnement.
Il y a un écueil majeur à surmonter : ça ne peut marcher que si l’Ukraine s’approprie l’idée. Si elle est imposée de l’extérieur, elle est vouée à l’échec : elle sera vécue comme une ingérence.
Et c’est ça le plus compliqué : parce que l’agressivité de Poutine (au Donbass, en Crimée) a radicalisé les Ukrainiens. Ils sont plus nombreux aujourd’hui qu’hier à vouloir rejoindre l’Europe et l’Otan.
Le pouvoir ukrainien est-il à même de réfréner les ardeurs de ses électeurs pour chercher un compromis qui serait vécu comme un pacte avec le Diable ? Pas évident.
Faire ce pari, ce serait aussi faire le pari de la patience. Se dire que Poutine n’est pas éternel et que son successeur sera peut-être moins belliqueux.
Mais ce pari du temps long est toujours difficile à faire pour les pouvoirs démocratiques, soumis (et tant mieux) au retour régulier du verdict des urnes.
En tout cas, on a du mal à croire que le mot « Finlandisation » ait été lâché par erreur, comme une boulette. Ça ressemble davantage à un ballon sonde.
Officiellement, le mot va donc rester tabou.
Mais le concept a un parfum de real politik, de porte de sortie. On ne l’a pas dit, mais on peut essayer de le faire.