L'épisode s'ouvre sur une lecture d' Un amour de Swann par Lou Doillon.
Jean-Yves Tadié est l'auteur de nombreux textes de référence sur la vie et l'œuvre de Marcel Proust. Sa biographie de Proust est rééditée en folio (Gallimard) et son livre Proust, le dossier vient de paraître dans une version revue et mise à jour chez Pocket. Pour la reparution chez l'Herne de l'ouvrage longtemps introuvable Les Amis de Marcel Proust de Georges Cattaui, Jean-Yves Tadié en signe l'avant-propos.
Touchant et héroïque
Voilà les deux mots qui ressortent du portrait de l'écrivain dressé par Jean-Yves Tadié : "Pour moi, c'est deux choses très différentes d'ailleurs, c'est un homme tout à fait touchant, et héroïque par certains côtés et une œuvre géniale qui ne lui ressemble d'une certaine façon pas du tout. Un homme touchant parce que c'est quelqu'un qui avait toutes sortes de tares, la plus grande étant la maladie, l'asthme, qui n'est pas du tout une maladie psychologique mais une maladie organique."
L'asthme à l'époque ne se guérissait pas et se soignait très mal, souvent par des moyens qui avaient l'effet inverse et contribuaient à abréger la vie des patients. Ainsi Proust n'a vécu que 51 ans, tout comme Balzac. Point commun entre les deux hommes : la consommation excessive de café : "Il arrivait à Proust de dire qu'il buvait quinze tasses de café dans la journée puisqu'il avait des heures de sommeil et de veille qui étaient l'inverse de l'humanité en général. Il écrivait la nuit et il dormait le jour. Par conséquent, pour maintenir ce rythme, il prenait des excitants et des stupéfiants, également néfastes dans les deux cas."
Selon son biographe, Proust a dû trainer deux autres poids toute sa vie : l'homosexualité et le judaïsme. La société de l'époque est impitoyable, à la fois pour les homosexuels et pour les juifs. Et tout ça est lié à l'affaire Dreyfus. Proust s'est très vite engagé fortement pour le Capitaine Dreyfus. l'affaire a fracturé durablement notre pays : "L'affaire Dreyfus a fait éclater un antisémitisme latent qui, en France, a fait des dégâts pendant la première moitié du XXᵉ siècle de manière épouvantable. Il faut bien se dire que quand Proust arrivait quelque part, dans un salon par exemple, on disait 'Oh ce Proust c'est un malade, c'est un juif, c'est un homosexuel, pour ne pas employer d'autres mots."
Ce qui fait de l'écrivain un héros aux yeux de Jean-Yves Tadié, c'est sa capacité à la fois à se battre contre sa maladie pour écrire des milliers de pages et d'être une sorte de porte-drapeau pour les homosexuels et plus généralement pour les minorités et pour les juifs, notamment à cause du génial préambule de "Sodome et Gomorrhe". Explications : "Ce préambule contient la phrase la plus longue dans la Recherche, une phrase d'une page et demie qui explique toutes les injures, toutes les ignominies qu'on fait subir aux homosexuels. Comme d'ailleurs, on les fait subir aux juifs. Et ça, c'est quelque chose de très touchant parce que je pense que ni les homosexuels ni les juifs n'ont oublié Proust. Même si, heureusement, il y a des lecteurs qui ne sont ni l'un ni l'autre."
Aller + loin
Jusqu'au 18 décembre 2022, exposition La Fugitive au CRÉDAC (Ivry).
Jusqu'au 22 janvier 2023, exposition Marcel Proust, la fabrique de l'œuvre à la Bibliothèque nationale de France.
Musiques :
- "Monde nouveau" - Feu Chatterton
- "Les paradis perdus" - Christine and the Queens
- "Segre" - Sohn
Générique : "Veridis Quo" - Daft Punk
