L'un des tout premiers auteurs français à avoir employé le mot "racisme" s'appelait Charles Malato. Il l'utilise dans un ouvrage intitulé Philosophie de l'anarchie, dont la première édition date de 1888. Convaincu que la marche de l'humanité vers l'universalisme passerait par différents stades, Malato définit le "racisme" comme une étape de cette progression vers l'universel censée succéder au stade national. "Aujourd'hui, dit-il, sortant du patriotisme, on marche au racisme : panslavisme, pan latinisme, pangermanisme et, au-delà du racisme lui-même, c'est la notion d'humanité qui, déjà, commence à se former."
Le racisme est présenté ici comme une idéologie politique défendue par des groupes plus étendus que les nations, ce qui constitue pour lui un progrès dans la marche de l'humanité vers l'universel. Cette vision optimiste de l'évolution du monde le conduit à prédire que le communisme "entraînera la constitution de fédérations racistes (latine, slave, germaine, etc...)" mais qu'ensuite, le mode de production communiste rendra toute réglementation superflue ; ce sera alors "la fin du racisme et l'avènement d'une humanité sans frontières".
Quelques années après la publication de cette "philosophie de l'anarchie", Gaston Méry, l'un des principaux collaborateurs de la Libre Parole - le journal antisémite d'Edouard Drumont - utilisa le mot "racisme" dans un sens assez proche de Malato. Son but était de défendre la "race provençale" et le Félibrige, le mouvement régionaliste que l'écrivain Frédéric Mistral avait lancé pour restaurer la langue provençale. La première condamnation du racisme apparut alors dans la presse dreyfusarde pour dénoncer les mouvements régionalistes au nom des valeurs universelles de la République. Néanmoins, quand on lit la presse de l'époque, on constate que le mot "racisme" fut très peu employé jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale. C'est seulement en 1924 qu'il fit irruption dans le vocabulaire courant, pour désigner les bouleversements politiques qui étaient en train de se produire en Allemagne, sous l'impulsion d'Adolf Hitler (...)
Bibliographie
Stéphane Beaud & Gérard Noiriel, Race et sciences sociales. Essai sur les usages publics d'une catégorie, Marseille, Agone, 2021.
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