Après de vagues études de psychologie et de philosophie, Fernand Deligny arrive par hasard à l’hôpital psychiatrique d’Armentières en 1938 où il travaille en tant qu’instituteur puis en tant qu'éducateur. Il y observe le sort tragique des malades mentaux en ces temps de guerre et particulièrement celui des enfants. Très vite, il met en place un réseau de complices - les gardiens des lieux - et invente avec eux, à l’intérieur de l’institution, des manières de rendre la vie désirable pour ces jeunes malades.
Fernand Deligny, inventeur des refuges
Deligny est ensuite nommé directeur du centre de triage de Lille. Là encore, il y détourne les demandes officielles pour offrir aux jeunes exclus de la société un lieu de refuge. Son positionnement dérange et il est contraint de quitter le centre. Grâce au soutien des communistes au pouvoir, il fonde La Grande Cordée en 1948, une organisation expérimentale dite de “cures libres”. Il s’agissait d’utiliser le réseau des auberges de jeunesse existantes pour envoyer des jeunes en déroute découvrir un nouvel environnement et les aider à trouver leurs voies.
Plus tard, en 1967, Deligny fait une rencontre décisive qui change sa vie pour toujours. Janmari, jeune garçon autiste mutique, devient "son maître à penser". Pour cet enfant singulier, Fernand Deligny et quelques compagnons de route s’installent dans les Cévennes et imaginent une vie "à l’abri du langage" organisée pour convenir au "mode d'être" de Janmari.
Cette démarche eut un grand retentissement dans les milieux de l'éducation et du soin. Des psychiatres et des psychanalystes, comme Françoise Dolto ou Maud Mannoni, y ont vu un lieu d'expérimentation unique qui devait aussi profiter à leurs jeunes patients. Deligny accepta de recevoir ces enfants pour des séjours de rupture et développa, pour les accueillir, un réseau d'aires de séjour.
Ces endroits, non subventionnés et vétustes, étaient encadrés par des gens qui n’avaient aucune formation d’éducateur ni de soignant, mais qui s'impliquaient jour et nuit aux côtés des enfants. On les appelait les "présences proches". C'est aussi à cette période que Deligny et son équipe inventent une cartographie unique et inestimable pour rendre compte des déplacements des enfants.
Fernand Deligny, poète
Fernand Deligny a écrit toute sa vie. Son écriture, depuis les nouvelles d'Armentières et jusqu'à la dernière tentative autobiographique rédigée durant le dernier acte de sa carrière, est à son image : un laboratoire foisonnant. Le cinéma occupe également une place centrale dans son cheminement. La caméra accompagna chacune de ses tentatives et il fut également une source d’inspiration pour bon nombre de ses contemporains cinéastes. Notons qu'il a correspondu avec François Truffaut pendant 20 ans et qu'il a imaginé plusieurs films avec le réalisateur Renaud Victor.
Pour en parler
- Richard Copans, réalisateur et producteur, fondateur de la société Les Films d’ici
- Sandra Alvarez de Toledo, fondatrice des éditions de L’Arachnéen
- Catherine Perret, philosophe et psychanalyste
- Jacques Lin, ouvrier retraité et Gisèle Durand Ruiz, peintre, compagnons de route de Deligny et présences proches sur le réseau des Cévennes
Lectures : Madeleine Louarn, metteuse en scène de la compagnie Catalyse au Centre National pour la création adaptée encadre la lecture des comédiens Emilio Le Tareau, Tristan Cantin, Jean-Claude Pouliquen et la comédienne Christelle Podeur.
Merci à Thierry Seguin pour l’organisation de cette journée.
Les extraits des films diffusés : Projet N, Alain Cazuc (1983) - Ce gamin, là, Renaud Victor (1976) - Le moindre geste, Fernand Deligny (1971) - La moindre des choses, Nicolas Philibert (1996)
Archives diffusées (extraits) : Fernand Deligny au micro de Jacques Chancel (France Inter, Radioscopie , 1980) - Jean Oury et Jean-Pierre Daniel, dans les bonus du coffret DVD Le cinéma de Fernand Deligny (éditions Montparnasse, 2007)
Bibliographie sélective
- Fernand Deligny, Œuvres (L’Arachnéen, 2007)
- Fernand Deligny, Correspondance des Cévennes, 1968-1996. Édition établie, annotée et présentée par Sandra Alvarez de Toledo (L'Arachnéen, 2018)
- Cartes et lignes d’erre. Traces du réseau de Fernand Deligny, 1969-1979, ouvrage collectif (L'Arachnéen, 2013)
- Jacques Lin, Une vie de radeau. Le réseau Deligny au quotidien (Le mot et le reste, 2019)
- Catherine Perret, Le tacite, l’humain. Anthropologie politique de Fernand Deligny (Seuil, 2021)
Film documentaire :
Musique
- Bande Originale du Film de François Truffaut, Les quatre cents coups (1959). Musique composée par Jean Constantin - Anne Paceo, Reste un oiseau. Extrait de l'album S.H.A.M.A.N.E.S (2022)
À venir
Exposition Fernand Deligny. Légendes du radeau au Centre régional d'art contemporain de Sète (11 février - 28 novembre 2023)
Générique
Un documentaire de Lou Quevauvillers, réalisé par Marie Plaçais. Prises de son, Charles Bouticourt, Andreas Jaffré et Manuel Couturier. Mixage, Mathieu Touren. Archives Ina, Véronique Jolivet. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Attachée de production et page web, Sylvia Favre.
Pour aller plus loin
- Pédagogie poétique de Fernand Deligny, extrait de Communications (n°71, 2001) par Alvarez de Toledo Sandra
- La "tentative" des Cévennes. Deligny et la question de l'institution dans Chimères (vol. 72, n°1, 2010) par Igor Krtolica
- Ce gamin, là, film de Fernand Deligny et Renaud Victor (1975) en ligne sur YouTube
- Fernand Deligny, un innovateur social aux prises avec les circonstances (1938 - fin des années 1950), mémoire de master en histoire de Maxime Fichet (2016)
- Fernand Deligny et la philosophie : Un étrange objet, ouvrage dirigé par Pierre-François Moreau et Michaël Pouteyo (ENS Éditions, 2021)
- Traces et cartes : aires et erres chez Fernand Deligny, conférence de Catherine Perret, professeure d'esthétique et de théorie des arts, Université Paris 8, à voir sur le site du Collège de France