« Pour mettre en place des zoos humains à la fin du XIXe siècle, il fallait avoir fait accepter que l'humanité était divisée entre les êtres humains et ceux qui étaient proches des animaux... », Maboula Soumahoro, historienne
En 1889 à Paris, près de 30 millions de visiteurs se pressent à l'exposition universelle. L'attraction principale, outre la Tour Eiffel, est un village nègre. Là, des Africains sont sommés de jouer les sauvages, de l'autre côté d'une barrière censée protéger le visiteur de la violence du colonisé. Pour lui rappeler également qu'il est, lui le blanc, du bon côté de la barrière, celui de la civilisation et de la modernité.
L’historienne Carole Reynaud-Paligot rappelle : “La race et le racisme, ce n'est pas la même chose. Le XIXᵉ siècle, c'est le siècle de la race, parce que cette notion apparaît progressivement et devient une véritable notion scientifique qui est portée par une science qui se nomme l'anthropologie. Cette science s'institutionnalise dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle en se donnant pour objectif de déterminer et de classer les races humaines. Elle va produire une très forte hiérarchisation puisqu'elle place au sommet de la hiérarchie la race blanche”.
Nous sommes alors dans l'ère des zoos dits humains, visités par plus d'un milliard de personnes de Hambourg à Chicago et de Bruxelles à Tokyo. Ces représentations vont élever l'exhibition coloniale au rang de spectacle, au prétexte de divertir. Et ainsi justifier la colonisation opérée par la IIIe République...
Des zoos humains qui comme l’explique l’historien Pascal Blanchard, ne viennent pas de nulle part : “Christophe Colomb de retour des Amériques, ne ramène pas que des objets. Il ne ramène pas que les animaux sauvages, il ne ramène pas que du biotope, il ramène aussi de l'humain. Pour montrer aux Cours européennes, et notamment espagnole et portugaise, qu'il y a d'autres peuples de l'autre côté des terres. Mais à ce moment-là, ça reste dans les milieux aristocratiques, sans notion de rapport marchand à l'exhibition, ce n'est pas encore une tournée de spectacle grand public structuré comme tel.”
Ces zoos vont populariser, au même titre que les manuels scolaires par exemple, les recherches et les discours des anthropologues européens qui ont entrepris, dans la continuité du siècle des Lumières, de disséquer l'Autre.
Pascale Blanchard raconte comment fermés au public le matin, ils étaient tout de même ouverts aux savants qui se précipitaient pour étudier ces populations méconnues : “Vous avez certains savants qui restaient quinze jours, trois semaines, un mois dans les grandes villes de tournée, en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Belgique pour venir étudier ces populations. Si vous lisez ‘La Nature’’, la grande revue scientifique de l'époque ou le ‘Bulletin de la Société d'anthropologie de Paris’, quasi toutes les troupes qui ont été exhibées au Jardin d’acclimatation de Paris ont fait l'objet d'études de sept, huit, dix pages, en plus des recueils complets. Et, quand vous lisez Gustave Le Bon, vous comprenez qu’il a construit sa racialisation du monde uniquement avec les spécimens qu’il a vus au Jardin d’acclimatation.”
Par ailleurs, pour l’historien Zana Etambala l’une des raisons d’être de ces zoos était de “montrer le contraste entre ces populations et les sociétés européennes”, ainsi, il analyse : “Dans le dernier quart du XIXᵉ siècle, les sociétés européennes étaient en train de se transformer, de se moderniser. L'Europe, l'Occident étaient fiers des progrès faits depuis quelques décennies. On voulait donc montrer les autres qui, à ce moment-là, ne faisaient pas tous ces progrès-là, dont les sociétés demeuraient encore en quelque sorte archaïques”, il en conclut : “C'était ça le but, donner aux visiteurs européens l'impression que leur société évoluait dans le bon sens et que, à ce moment-là, leur société était supérieure à toutes ces sociétés africaines, américaines, asiatiques, etc.”.
Avec les zoos humains, l'existence de races - inférieures et supérieures - se diffuse pour pénétrer en profondeur le corps social. Un ordre racial qui, malgré la déconstruction de la notion de races opérée par la génétique au XXe siècle, continue de prospérer dans nos sociétés...
Un documentaire de Stéphane Bonnefoi réalisé par Diphy Mariani pour LSD.
Avec :
Maboula Soumahoro (historienne),
Pascal Blanchard (historien),
Zana Etambala (historien),
Maarten Couttenier (conservateur de l'Africa Museum de Tervuren, Belgique),
Carole Reynaud-Paligot (historienne),
Magali Bessone (philosophe),
Aurélia Michel (historienne).
Bibliographie
* Carole Reynaud-Paligot, La république raciale, PUF
* Pascal Blanchard, Zoos humains et exhibitions coloniales, La découverte
* Collectif, Zoo humain, l'invention du sauvage, Actes Sud/ Musée du quai Branly
* Claude Levi-Strauss, Race et histoire, Folio
* Maboula Soumahoro, Le triangle et l’hexagone, La Découverte
* Jean-Claude Charles, Le corps noir, Mémoire d'encrier
* Etienne Balibar, Race, nation, classe, La découverte
* Dominique Chathuant, Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race, éditions du Félin
Liens
* Le site de l'Africa Museum de Tervuren en Belgique