Pour terminer cette série d'émissions consacrée aux années 1920, Olivier Saillard, historien de la mode, ancien directeur du Palais Galliera, est l'invité de la "Compagnie des œuvres" pour continuer à parler de Coco Chanel, dans le contexte plus large des Années folles, époque dans laquelle elle a fait son entrée fracassante dans le monde de la mode.
Dans l'histoire de la mode, à chaque décennie un nouveau style
En faisant une histoire de la mode par décennie - on parle bien des années 20, des années 30, des années 40... - alors tout de suite il y a comme un pictogramme d'une silhouette qui apparaît. La mode se fait certes par des couturiers, des créateurs mais il faut être aussi accompagné par le destin historique d'une société.
Si on se réfère justement à Chanel, s'il n'y avait pas eu aussi cette période de forte émancipation féminine à la fin de la Première Guerre mondiale, elle aurait eu beau s'habiller comme elle voulait, elle serait restée une excentrique. C'est cette adhésion du groupe à la singularité d'une femme - ou d'un homme - qui fait qu'on entre dans une décennie de mode.
Les précurseurs de la mode
Au début des années 1900, parmi les couturiers célèbres on peut citer Fortuny qui propose des tissus de toute beauté pour les vêtements d'intérieur des femmes de la grande aristocratie, entre fonctions mondaines et fonctions sociales. Charles Frederick Worth est, peut-être, le premier vrai couturier moderne. Il invente une discipline, la haute couture, qui fait que les femmes vont renouveler leur garde-robe tous les six mois par des collections saisonnières. Il invente la saisonnalité, le renouvellement des modes, la posture artistique du couturier. Troisième nom qu'il faut citer, c'est Paul Poiret, le couturier qui aime la fête, qui est dans un monde de rêve. Il est celui qui fait entrer la mode dans le 20e siècle, en supprimant le corset. Mais tout en libérant la femme du corset, il l'a entravée au niveau des jambes. La mode selon Poiret, c'est une étape, c'est un entre-deux.
Olivier Saillard relate cette anecdote fameuse où au cours d'une soirée, Paul Poiret voit arriver Gabrielle Chanel dans une petite robe noire absolument neutre et très simple. Il lui demande alors : "Mademoiselle, mais de qui êtes-vous en deuil ?" Et Chanel de lui répondre : " Mais de vous, monsieur Poiret !" La mode de Chanel vaut par ce qu'elle est, mais elle vaut aussi par ce qu'elle vient briser, ce qu'elle vient fracasser en réaction. Ainsi, quand elle est à l'Opéra et qu'elle voit toutes ces tenues de couleurs sous l'influence de Poiret, elle se dit : "Toutes ces femmes qui sont déguisées en perroquet, je vais les foutre en noir !" Et c'est vraiment une réaction qui va de pair avec ce moment de grande émancipation féminine. Un tournant où un créateur - une créatrice - rencontre une donnée historique, sociétale.
La mode de Coco Chanel crée un avant et un après
Relater la vie de Coco Chanel, c'est une entreprise impossible car invérifiable. Elle ne fait que fabriquer sa propre industrie de soi. Tout existe au sujet de Chanel. Mais ce qui est certain c'est qu'elle a surtout pour elle, l'époque. Passer d'un milieu social à un autre et être une femme dans ce milieu de la mode, c'est un parcours immense qu'elle a pu accomplir parce qu'il y avait aussi ce mouvement de transformation sociétale de la place des femmes du fait de la Première Guerre mondiale. Le départ des hommes au front a amené les femmes à travailler à l'extérieur, à occuper des fonctions qui étaient honorées jusqu'à présent par les hommes. Au sortir de la guerre, il y a aussi l'arrivée du sport dans la vie, de la vitesse avec l'automobile, de la technologie. Toutes ces évolutions ont conduit à un changement vestimentaire.
Gabrielle Chanel, en inventant sa petite robe noire en 1926, c'est du même ordre qu'un Carré noir sur fond blanc dans le monde de la mode. C'est la marque d'un avant et d'un après. En plus, elle revient en 1954 avec l'édification d'un costume moderne qu'est le tailleur. Ces deux grands moments comme solutions vestimentaires, sont absolument définitifs pour la mode. Il y a vraiment une volonté de fracture chez Chanel qui domine toujours tous ses gestes Elle a vraiment fait entrer la mode dans une temporalité moderne.
Et à 15h30, retrouvez la chronique de Nathalie Froloff, professeure en classes préparatoires au lycée Louis le Grand à Paris.
MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol)
MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)