La cinéaste Chantal Akerman est l'invitée de "Première édition" en mai 2002, pour son film, De l'autre côté, un documentaire tourné sur la frontière du Mexique et de l'Arizona.
De l'autre côté vient après D'Est, tourné dans les pays de l'Est après la chute du Mur, et Sud, tourné dans le Sud des États-Unis. Trois documentaires qui peuvent être considérés comme une trilogie, selon leur réalisatrice : "Ils sont hantés par les camps, mais ça, je ne m'en rends compte qu'après les voir terminés. Dans De l'autre côté*, il y a un mur, des halogènes. Ma mère, quand je lui demandais à quoi ça lui faisait penser, m'a dit* : tu sais très bien..."
Chantal Akerman : "On a des obsessions dans la vie et quoi que je fasse, parce moi j’essaie d’y échapper, on retombe dedans. C'est un film sur les Mexicains - c'est plus large que ça - qui essaient de passer aux États-Unis, donc il y a toute une partie mexicaine. Et puis il y a une partie américaine où on voit comment ces Mexicains sont vus d’en haut par les Américains, par des hélicoptères avec des caméras infrarouge, et on les voit comme des mouches ou des animaux ou des fantômes, il y a un moment donné où il y une image où vraiment on les voit à travers une mire comme si on allait leur tirer dessus."
"La ville mexicaine est entourée de barrières. Du côté américain il y a des immenses lampes halogènes, comme si c'était un grand camp"
"C'est un film un peu hybride où il y des images d'archives du service d’immigration américain, qui moi m'ont terrifiée, mais dont eux sont très fiers, et qui montrent les gens comme si ce n'était plus des gens."
À la question "pourquoi ne pas avoir été plus près, à Sangatte ou du côté des Marocains ?", Chantal Akerman répond : "Plus on montre des choses qui sont loin, plus ça ramène à ici. Parce que quand on montre des choses sur lesquelles on a le nez collé, on ne les voit plus."
"En Europe, je dirai que les choses sont plus hypocrites. Il n'y a pas de frontières, il n’y a plus de frontières, mais quand on se trouve dans un train, Paris-Bruxelles par exemple que je fais souvent, et bien tout le monde vous fait des sourires, à moi parce que j'ai la peau blanche, et puis tout d'un coup au loin dans le train il y a quelqu'un qu'on fait sortir du train et celui-là n'a pas la beau blanche. Et donc c'est un monde sans frontières mais avec des frontières qui sont plus hypocrites, c'est la fameuse loi du faciès, plus sournoises. Là-bas c'est clair."
"L'Amérique c'est le règne de l'individu qui a le droit de se défendre lui-même et donc de tuer l'autre"
Elle explique pourquoi elle a voulu à faire ce film : "J'avais lu un tout petit extrait, dans Libé ou dans Le Monde, comme quoi les Ranchers eux-mêmes, pour s'amuser en plus de tout, allaient avec des grands magnums dans la nuit faire la chasse aux immigrants, aux illégaux comme ils disent, et les détenaient dans leur ranch pour après les donner aux Border Patrols, et ils disaient : "ils polluent, ils salissent notre mode de vie, ils nous salissent en quelque sorte. Et en effet l'Amérique est puritaine, elle est née comme ça avec les puritains et elle est née aussi avec un homme un fusil. C'est le règne de l'individu, l'individu a le droit de se défendre lui-même et donc de tuer l'autre. Et donc ils sont prêts à tuer l'autre, c'est tout."
Retrouvez l'ensemble de "Toute une nuit avec Chantal Akerman", un programme d'archives proposé par Albane Penaranda.
- Production : Pierre Assouline
- Réalisation : Georges Kiosseff
- Avec Chantal Akerman
- Extrait : Première édition - Chantal Akerman pour "De l’autre côté" (1ère diffusion : 17/05/2002)
- Édition web : Documentation de Radio France
- Archive Ina-Radio France