Si l'homme a jusqu'ici erré, comment à présent l'élever ? En faire un surhomme ? Quelle sera la mission du philosophe ? Renversement des valeurs et travail sur les pulsions, comment le philosophe se fait-il législateur d'une culture à venir ? Portrait du philosophe selon Nietzsche par notre invité Patrick Wotling.
Le texte du jour
« Ici Zarathoustra se tut quelques instants et regarda ses disciples avec amour. Puis il continua à parler ainsi, — et sa voix s’était transformée :“Restez fidèles à la terre, mes frères, avec la puissance de votre vertu. Que votre amour prodigue et que votre connaissance serve le sens de la terre. Je vous en prie et vous en conjure. Ne la laissez pas s’envoler du terrestre et cogner des ailes contre des murs éternels ! Hélas, il y a toujours eu tant de vertu envolée. Ramenez, comme moi, la vertu envolée à la terre — au corps et à la vie : pour qu’elle donne son sens à la terre, un sens humain ! L’esprit, tout comme la vertu, s’est dispersé et s’est mépris jusque-là de cent manières diverses. Hélas! dans notre corps, habitent encore toutes ces illusions et toutes ces méprises : elles y sont devenues corps et volonté. L’esprit, tout comme la vertu, s’est essayé et s’est égaré de cent façons différentes. Oui, L’homme était un essai. Hélas ! beaucoup d’ignorance et d’erreurs se sont incarnées en nous ! Ce n’est pas seulement la raison millénaire qui se manifeste en nous mais aussi la folie millénaire. Il est dangereux d’être héritier. Pour l’instant encore nous luttons pied à pied avec le géant nommé Hasard et sur l’humanité entière a régné jusque là, ce qui est insensé, ce qui a perdu le sens. Que votre esprit et votre vertu servent le sens de la terre, mes frères : et que vous établissiez pour toute chose une valeur nouvelle ! c’est pourquoi vous devez être des combattants ! C’est pourquoi vous devez être des créateurs ! Par le savoir, le corps se purifie ; en faisant des tentatives avec science, il s’élève ; tous les instincts se sanctifient en celui qui accède à la connaissance ; l’âme de celui qui s’est élevé devient joyeuse. Médecin, aide toi, toi même : ainsi tu aideras ton malade de surcroît. Que ce soit son aide la meilleure, qu’il voie de ses yeux celui qui se guérit lui même. Il existe mille chemins qui n’ont encore jamais été empruntés, mille santés, mille îles secrètes de la vie. L’homme et la terre de l’homme ne sont toujours pas épuisés et toujours pas découverts. Veillez et écoutez, vous les solitaires ! Il vient de l’avenir des souffles de vent aux secrets battements d’ailes et, pour qui a l’ouïe fine, il y a de bonnes nouvelles. Vous, les solitaires d’aujourd’hui, vous qui vous retirez à l’écart, vous serez un peuple un jour : de vous qui vous êtes vous mêmes élus, naîtra un peuple élu, — et de lui naîtra le surhumain. En vérité, c’est un lieu de guérison que doit devenir la terre ! Déjà une nouvelle odeur l’entoure, une odeur salutaire, — et un espoir nouveau !” »
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1885), « De la vertu qui prodigue », § 2 (trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Livre de poche)
Lectures
- Nietzsche, La généalogie de la morale (1887), III, § 10 (trad. P. Wotling, Livre de poche)
- Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1885), « De la vertu qui prodigue », § 2 (trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Livre de poche)
Extrait
- Générique de la série « l’homme qui valait trois milliards »
Références musicales
- Sonic youth
- Nietzsche, Das fragment an sich
- Janis Joplin, Try
