Blaise Pascal a beaucoup à nous apprendre sur la police. La police qui fait usage de sa force, est-ce un abus tyrannique ? Pour Pascal, la réponse est non : la force qui fait usage de la force reste dans son ordre. Elle n'est ni tyrannique ni injuste. Et pourtant, Pascal, qui est si légitimiste, a défié l'ordre et la police durant sa vie. Comment comprendre cette ambivalence ? Laurent Thirouin, professeur de littérature française du 17e siècle, apporte son éclairage et explicite cette phrase célèbre du penseur : "La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique."
La logique de Pascal sur la justice est d'ordre technique
Pour comprendre le respect inconditionnel aux lois auquel appelle Pascal, il faut voir que le philosophe propose une approche technique plus que spirituelle. La justice, considérée comme une qualité spirituelle, ne peut pas s'imposer d'elle-même, elle a besoin de la force, qualité qualifiée de palpable. Il y a pour Pascal une confusion totale entre force et justice.
"Pascal oppose les qualités spirituelles et les qualités palpables. Une qualité palpable n’est pas supérieure à une qualité spirituelle, il a même tendance à penser le contraire : la justice vaut plus que la force. Une qualité palpable est une qualité concrète, objectivable. On peut savoir si quelqu’un est fort ou non et entre deux personnes fortes on peut savoir qui est la plus forte. Il n’y a pas de doute concernant la force alors que dans les qualités spirituelles, comme la justice, il est toujours possible de tricher. On peut mentir. C’est ce que Pascal dans sa langue du 17e siècle, appelle être sujet à dispute. La force est très reconnaissable, elle est sans dispute, la justice on peut en discuter."
La "tyrannie" selon Pascal
Laurent Thirouin tente d'expliquer ce que Pascal appelle "tyrannie", il précise d'emblée qu'il faut mettre des guillemets à ce mot utilisé par le philosophe. Il insiste sur l'importance qu'a été la période de troubles, la Fronde, dans la vie de Pascal et le rejet absolu qu'il en a tiré de la guerre civile. La force permet justement d'éviter le massacre de tous par tous, elle permet d'obtenir la paix avant tout. La force est en ce sens seulement légitime mais elle ne peut participer aux deux autres ordres que composent la pensée de Pascal, ni à l'ordre de l'esprit ni à l'ordre de la charité.
Pascal essaye de penser pourquoi la force cherche une apparence de justice alors qu'elle n'est que la force. Pour le philosophe, la force ne peut pas s'assumer telle quelle. "La véritable force pour Pascal c’est le nombre, c’est la source abstraite de toute force et donc même les forces instituées, même le roi n’est roi que parce qu’il représente une force numériquement plus grande. Or le nombre est manipulable. Il y a toujours le risque que le nombre se rende compte qu’il est en train de mettre sa puissance numérique à l’appui de quelqu’un qui ne le mérite pas. Le nombre, la pluralité pour parler comme Pascal, s’imagine qu’il est juste, donc la force a absolument besoin que le nombre s’imagine qu’il est juste."
La tyrannie de la démagogie
Autre pensée pascalienne éclairée par Laurent Thirouin, il s'agit de la tyrannie de la démagogie. "Un pouvoir qui cherche à être aimé est un pouvoir tyrannique. La force doit être crainte mais elle n’est pas aimable. Quelqu’un qui dit : je suis fort donc aimez-moi, est en pleine tyrannie. Dans un sens, il n’y a pas plus tyrannique, au sens pascalien du terme, que la communication, la démagogie." Et de conclure : "Persuader par douceur, c'est tyrannique."
Extraits
- Inspecteur Harry, film de Don Siegel, 1971
- Extrait des Pensées de Pascal lu par Didier Sandre (CD Gallimard)
Lectures
- Pascal, Pensées, fragment 58 (Lafuma) dans Pensées sur la justice, (La Découverte, 2011(, p.53-54
- Pascal, Troisième discours sur la condition des Grands, dans Pensées sur la justice (la Découverte, 2011)
- Pascal, Provinciales, dans Œuvres complètes (Seuil, 1963)
Références musicales
- Anderson, The drink
- In The Nursery, Police station
- Alain Bert, Ballade pour un commissariat
- Radiohead, Karma police
Emission en partenariat avec Philosophie Magazine