La commémoration des 80 ans du Front populaire est l’occasion de se concentrer sur les récents travaux historiographiques. Jean Vigreux souligne un renouveau historiographique grâce à l'accès aux archives politiques et policières numérisées, incluant les fonds du Komintern et des archives nationales. Ces sources permettent d'étudier le Front populaire à travers des documents de surveillance, de répression, et des archives saisies par les Soviétiques.
Une histoire connectée
L'historiographie contemporaine envisage le Front populaire non seulement comme un phénomène français, mais aussi comme un mouvement antifasciste international, influencé par des contextes comme l'ascension d'Hitler, ainsi que les fronts populaires en Espagne et au Chili. Les historiens mettent en lumière les aspects moins étudiés, tels que les mouvements de grève dans le prolétariat rural, ainsi que les rôles des femmes et des colonies, offrant une vision plus complète du Front populaire à différents niveaux de la société.
Les congés payés, emblématiques du Front populaire, sont souvent associés à l'été 1936. Toutefois, les historiens notent que c'est surtout en 1937-1938 que cette mesure a eu un impact significatif sur les ouvriers, illustrant ainsi comment certaines images restent gravées dans la mémoire collective malgré les nuances historiques.
Georges Huisman, ministre de la Culture avant la lettre
Georges Huisman, républicain de la Troisième République, est nommé directeur général des Beaux-Arts en 1934, deux ans avant l'avènement du Front Populaire. Pendant la période du Front Populaire (1936-1938), il devient un soutien actif de ce mouvement, notamment en collaborant étroitement avec le ministre de l'Éducation, Jean Zay, pour appliquer une politique artistique novatrice.
Passionné d'art et d'histoire, Huisman fait face à une crise qui touche le milieu artistique en 1934, marquée par le chômage des artistes. Inspiré par des initiatives similaires aux États-Unis, il lance des projets de fresques murales pour offrir du travail aux artistes français. En tant que directeur général des Beaux-Arts, il renforce le lien entre l'art et l'État.
Huisman est également un fervent défenseur de la démocratisation de l'art et de l'éducation. Il milite pour une école unique, accessible à tous, indépendamment des classes sociales, et valorise l'enseignement de l'art. Ses initiatives pédagogiques comprennent la publication d'ouvrages d'histoire de l'art pour enfants et la promotion de visites au musée.
La période du Front Populaire voit également l'émergence d'une diplomatie culturelle, avec la participation de la France à des événements internationaux. Huisman soutient l'organisation du premier Festival de Cannes en 1939, conçu comme une alternative antifasciste à la Mostra de Venise. Malgré les ambiguïtés et les critiques, Huisman et ses contemporains démontrent un engagement fort envers la résistance et la continuité culturelle.
Le rôle des commémorations dans la mobilisation sociale
Le Parti communiste a utilisé l'historiographie pour influencer la mémoire collective et mobiliser les masses, tout en s'adaptant aux évolutions politiques de l'époque. Le Parti communiste français, influencé par le septième Congrès de l'Internationale communiste en 1935, réactive la mémoire de la Commune de Paris. Cette période, marquée par la présence de vétérans de la Commune, voit les communistes établir une filiation entre la Commune de Paris et la révolution d'Octobre 1917. Les commémorations, notamment au Mur des Fédérés, deviennent des événements majeurs, symbolisant la lutte et l'autodéfense ouvrière.
Après les manifestations de février 1934, le Parti communiste modifie sa stratégie. Les commémorations de la Commune de Paris évoluent, la Révolution française prenant une place centrale dans le discours communiste. Les aspects patriotiques et républicains de la Commune sont mis en avant, culminant lors des grandes manifestations unitaires avec les socialistes, comme celle de mai 1936 au Père-Lachaise, symbolisant la victoire du Front populaire.
Dans le discours communiste, les "Versaillais" d'hier, responsables de la répression de la Commune, sont assimilés aux hitlériens et fascistes des années 30. Cette analogie est utilisée pour mobiliser et unir les militants contre la montée du fascisme, intégrant la lutte historique des communards dans le contexte contemporain.