Emmanuel Laurentin et Anaïs Kien s'entretiennent avec Marie-Claude Blanc-Chaléard, Marcel Dottori et Laurent Dornel.
Emmanuel Laurentin : Au-delà de l'évidence des migrations de voisinage, comment expliquer que l'immigration italienne à Marseille ait pris une telle ampleur au cours du XIXe siècle ?
Marie-Claude Blanc-Chaléard : Le mouvement se déclenche après la grande crise agraire d’un pays dont la démographie est extrêmement dynamique mais qui reste un pays rural. Et à un moment où l’Italie, dont l’unité n’est achevée qu’en 1870, s’efforce de construire un état-nation par le biais d’un certain nombre de nouvelles lois et de nouvelles réglementations qui engendrent des résistances et vont participer du départ des "contadini", des paysans. La plupart de ces ouvriers sont des paysans au départ.
Marcel Dottori : Marseille a de longue date été reliée à l’Italie, en particulier à Livourne, avec des activités de pêche et de négoce très anciennes. Dès le XVIIe siècle, nous retrouvons les traces de migrations toscanes de marbriers de la région de Carrare qui viennent travailler à Marseille. Mais pour les toscans, l’aspect économique n’était pas l’élément fondamental de la migration. Il y avait aussi des motifs d’ordre personnel ou politique. Et comme pour beaucoup d'autres Italiens, de nombreux toscans sont venus à Marseille au XIXe siècle pour prendre un bateau pour les Etats-Unis, avant de finalement décider d'y rester.
Cette immigration massive n’a pas été un chemin de roses : elle a provoqué des réactions de rejet parfois violentes...
Laurent Dornel : En effet, mais contrairement à certaines idées reçues, cette xénophobie n’est pas propre à Marseille, même si la ville est un paradigme du cosmopolitisme méditerranéen, elle s’inscrit dans un contexte national. Dès les années 1830, on trouve des réactions hostiles vis-à-vis de la présence des ouvriers gênois dans les savonneries. Mais la période d’intensification de la xénophobie ouvrière à Marseille, ce sont les années 1880-1890 qui sont aussi des années de crise économique. Le pic de cette période est l’épisode des "vêpres marseillaises", en juin 1881. A l’occasion d’une parade militaire des troupes françaises de retour de Tunisie, on assiste à une explosion de nationalisme qui provoque des émeutes anti-italiennes qui feront deux morts et des blessés et au terme desquelles des milliers d’Italiens vont quitter précipitamment la ville.