Le seul des quatre grands-parents d'Annette Wieviorka qui a survécu à la guerre était son grand-père maternel. Mais, celui qui occupe une place mythique dans sa mémoire, c'est son grand-père paterne, Wolf Wieviorka, écrivain yiddish — déporté et mort à Auschwitz — dont elle se souvient encore d'un portrait sur lequel il portait une grande barbe. Élevé en Pologne dans une famille très orthodoxe, il avait décidé d'immigrer, moins pour des raisons économiques ou d'antisémitisme que pour fuir un milieu juif étouffant qui ne lui permettait pas d'épanouir sa vocation d'écrivain. C'est au cours de ses périples qu'il rencontra sa femme, laquelle fuyait son mari. Ils ne se sont jamais mariés, car elle n'était pas divorcée de son premier mari. Cela ne les a pas empêchés d'avoir deux fils.
"J'ai relu les nouvelles de mon grand-père quand elles sont parues, et j'y ai retrouvé une grande intelligence des situations, une grande humanité. Aucune nostalgie, aucune nostalgie. Plusieurs de ces nouvelles stigmatisent justement la nostalgie du shtetl. Donc aucune nostalgie pour la vie juive passée. Et en les lisant, j'étais. J'étais fière de ce qu'il avait écrit."
Installé à Nice, son grand-père est arrêté et déporté, à peu près en même temps que le père de Serge Klarsfeld. Ils sont déportés dans le même convoi à Auschwitz. Il serait mort pendant l'évacuation de janvier 1945.
Une vie quotidienne difficile dans laquelle la culture occupe une place importante
Née d'un père qui n'a pas fait d'études, ce dernier, sans être intellectuel, était néanmoins préoccupé des choses de l'esprit. "Mon père a lu toute sa vie Le Monde, ce qui, compte tenu de son niveau d'études qui était le certificat, n'est pas coutumier. [...] Quand il a pris sa retraite, à 60 ans — après avoir travaillé depuis l'âge de douze treize ans — il a décidé de traduire depuis le yiddish et il a traduit un certain nombre de romanciers."
Annette Wieviorka décrit une vie quotidienne difficile : "C'est une époque où il y a la crise du logement. On n'arrive pas à se loger." Malgré la précarité matérielle,"Il y avait un piano dans la maison", raconte-t-elle.
Une adolescence marquée par le sentiment de différence
Dans les années d'après-guerre, la jeune Annette déteste l'école : "je n'ai pas été une bonne élève, dans une famille de premiers de la classe, ce qui est une situation parfois un peu difficile. J'ai un sentiment — probablement faux — qui est d'avoir somnolé pendant toutes mes années d'école."
Néanmoins, elle ressent fortement sa différence : "tout le monde allait au catéchisme, tout le monde faisait sa communion. On nous donnait des petites images de communion avec le nom marqué derrière. Donc, je collectionnais ces petites images et je savais que moi, je ne faisais pas cette communion. Donc, on était à part."
En remontant le fil de ses souvenirs, Annette Wieviorka nous met en garde sur la fragilité de la mémoire : "il faut se méfier de sa propre mémoire. En même temps, c'est cette mémoire qui fait ce que l'on est, qui fait son identité. Donc c'est très compliqué. Mais bien sûr, je me méfie de mes souvenirs. Parfois, je retrouve des écrits. Une vieille lettre. [...] Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrite et pourtant, c'est bien moi qui l'ai écrite."