Afin de connaître l’effet de la pêche industrielle, sans pouvoir se rendre sous la surface de l'eau, le photographe américain George Steinmetz est allé voir un jour sur Google Earth quelles traces en trouver sur les côtes, les plages et les ports. Lors de sa balade virtuelle au-dessus de l’Inde, il observe les rivages : "tellement couverts d’embarcations pour certains, qu’ils évoquent un clavier de piano". Le photographe est alors parti en exploration à l'issue de laquelle il réalisera une exposition intitulée "pêches mondiales" pour le festival Visa pour l’image de Perpignan durant l'été 2022.
Sur ces photos, un nuage de vapeur d’eau se dégage au-dessus d'amas de milliers de poissons congelés, déchargés par des matelots visiblement frigorifiés en Thaïlande et qui finiront en boîte. On peut voir aussi des centaines de barques en bois sur des plages de Mauritanie prêtes à prendre le large, les combinaisons bleues et jaunes des employés d’usines canadiennes qui découpent chaque année des millions de saumons sauvages ou encore des centaines de têtes de squale séchant au soleil sur une plage.
George Steinmetz voulait "sonner l’alarme sur des océans dépouillés de leur faune", un problème systémique que les conventions internationales, les quotas, les organismes de régulation de pêche ne parviennent pour l’instant pas à régler. Une leur d’espoir est apparue en juin dernier quand les Etats-membres de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, se sont enfin mis d’accord pour supprimer en partie les subventions à la pêche industrielle.
Ce texte aura-t-il un effet réel sur la régénération des ressources halieutiques ? Peut-on réguler l’appétit mondial des industriels et des consommateurs ?
Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Sophie Gambardella, chargée de recherche CNRS en droit à l’UMR DICE (unité mixe de recherche en droits international, comparé et européen) d’Aix-en-Provence et directrice adjointe de l’institut des Sciences de l’Océan d’Aix-Marseille Université.
"L'OMC a qualifié d'historique l'accord qu'elle a signé en juin dernier pour mettre fin aux subventions à la pêche illégale et à la surpêche. C'est en effet la première fois qu'un des objectifs de développement durable est atteint pleinement et en plus par un accord multilatéral. Mais cet accord reste imparfait : certains aspects ont été abandonnés au fur et à mesure des négociations car il n'y avait pas d'entente entre les Etats concernant les subventions spécifiques sur les carburants ou la construction de nouveaux navires, et on a plus largement mis de côté toute la question des subventions qui conduisent à une surcapacité et à une surpêche.", observe Sophie Gambardella.
Lors de la COP27 en Egypte, Emmanuel Macron affirmait que la France était en faveur d'un moratoire sur l'exploitation des fonds marins. Sophie Gambardella note à ce propos que "les fonds marins abritent des écosystèmes marins très vulnérables et en même temps très riches, on parle de "hotspots". C'est pour cette raison que les organisations de pêche ont commencé à réguler, voire à interdire la pêche dans certaines zones. L'autorité internationale des fonds marins, l'autorité compétente pour traiter de ces sujets, créée en 1994 par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, a demandé que des études d'impact sur la biodiversité soient réalisées dans des fonds marins avant de donner son autorisation pour l'exploitation".
Seconde partie : le focus du jour
La Chine, une puissance halieutique qui inquiète
En 2020, plus de 3 000 navires de pêche chinois étaient repérés au large des Iles Galapagos dans l’océan Pacifique. Des "vaisseaux-usines" dont les capacités de pêche colossales inquiètent les organisations de lutte pour la protection des océans, mais aussi les pays de la zone comme l’Equateur, le Pérou ou encore le Chili sur l’épuisement des stocks. Comment expliquer l’expansion sans précédent des flottes de pêche de la Chine sur tous les océans ? Comment le pays, qui figure parmi les plus grandes puissances halieutiques du monde, prend-elle en considération le problème de l’épuisement des ressources ?
Avec Sébastien Colin, maître de conférences en géographie à l’INALCO et chercheur à l'Institut français de recherche sur l'Asie de l'Est (IFRAE - UMR 8043) rattaché à l'INALCO, à l'université de Paris Cité et au CNRS.
"La Chine a pris conscience de la nécessité de protéger la ressource halieutique dès les années 1980. Dès les années 1980, la Chine a pris conscience de la nécessité de protéger la ressource halieutique. Les premiers jalons de la régulation officielle concernent ses eaux côtières - où la pêche est déjà largement développée - via la loi de la République populaire de Chine sur la pêche de 1986. Elle va par la suite lancer le développement de l'aquaculture pour approvisionner la consommation nationale de poisson, en augmentation, et pour essayer d'amoindrir la pression sur les ressources halieutiques des eaux côtières. Mais dans le même temps, la Chine s'est lancée dans le développement de sa pêche longue-distance pour accroître ses captures dans les océans Atlantique et Pacifique et les eaux africaines", explique Sébastien Colin.
Références sonores & musicales
- Sénégal : pilleurs des mers (Arte Reportage - 2019)
- Iris Menn de Greenpeace Allemagne dans le reportage "Surpêche : la fin du poisson à foison" (Youtube - 05/10/17)
- La Directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, lors des négociations sur le projet de texte des subventions à la pêche (OMC - 12/07/21)
- Reportage d'une séance de pêche (Youtube - 2020)
- COP27 : Emmanuel Macron veut interdire l'exploitation des fonds marins (Les Echos - 08/11/22)
- Près des piles Galapagos, une flotte de pêche chinoise immense et mystérieuse qui inquiète (France 24 - 26/11/20)
- "Arched bay window" de Chamberlain
- "The seed" de Aurora (2019)
Une émission préparée par Mélanie Chalandon.