"Je voudrais vous raconter l’histoire de la répétition ou plutôt, l’histoire d’une femme. La répétition, elle connaît. Comédienne de théâtre, elle répète actuellement sa dernière pièce. Pour se détendre, elle se passe tout le temps la même chanson des Stones, Sent it to me, un des meilleurs morceaux de l’album Emotional Rescue de 1980 et ce qu’elle préfère dans ce morceau, c’est le moment où le refrain revient, où il se répète. Elle pense à cet homme qu’elle va retrouver ce soir, aux gestes de leurs désirs, à cette même scène qu’ils rejouent souvent et qui n’en est que plus excitante…
Il faut parfois que quelque chose se répète pour que l’on puisse mesurer ce qui ne se répète pas…
Sur le plan de la vie amoureuse, elle répète aussi… le même scénario d’échec… Quasiment à l’identique, avec des mecs qui pourtant à priori ne se ressemblent pas… Une même histoire semble se répéter, comme un destin contre lequel elle ne peut rien : pseudo couple libre au début, ivresse de la toute puissance et puis sentiment de trahison, retour de la jalousie, de la possessivité, et finalement, le crash. Et ces crashs répétés la conduisent sur le divan.
Elle y découvre une autre forme de répétition : deux fois par semaine, le mardi et le jeudi, 19h, c’est l’heure de sa séance. Une bonne répétition pour essayer d’enrayer la mauvaise, qui s’avère d’ailleurs plus profonde que prévue. Car ce qu’elle elle découvre, sur le divan, c’est que dans son histoire familiale, bien avant sa naissance, d’autres femmes ont vécu des souffrances, des drames semblables aux siens. Se pourrait-il que la répétition enjambe les générations ?
Il y aurait alors quelque chose de diabolique dans la répétition. C’est d’ailleurs la partie de la sagesse populaire qu’on oublie souvent : « l’erreur est humaine », certes, « mais la répéter est diabolique ». Si en effet nous n’apprenons que de nos erreurs, alors la répétition à l’identique de nos erreurs nous enferme en enfer.
Elle se retrouve dans la rue, juste après sa séance. C’est le début de l’été, la soirée s’annonce douce… Elle allume une cigarette en songeant à tout ce qui se répète… La répétition : enfer ou paradis ?
Pour en parler ce matin, de la répétition, de ses charmes et de ses pièges, j’ai la joie de recevoir la romancière et essayiste Camille Laurens, auteure notamment de Dans ces bras là, de L’amour, roman ou de Fille, mais également d’un petit essai troublant, Encore et jamais, dans lequel elle explore l’énigme de ce qui se répète, Camille Laurens donc qui nous a rejoint ce matin, dans la caverne de France Inter, sous le soleil de Platon, pour poser avec nous cette périlleuse question : qu’est-ce qui distingue une mauvaise d’une bonne répétition ?"
Extraits de l'émission :
"Je me suis intéressée à la répétition aussi bien dans la musique, la poésie, la littérature, que dans le charme vénéneux que la répétition opère dans la vie. Ce charme vénéneux sont les scenarios d'échecs qui se répètent dans nos vies. J'avais envie d'étudier ces deux versants de la répétition, le positif et le négatif"
"Il y a quelque chose qui ne se répète pas, c'est la mort."
"Le titre "Encore et jamais", en opposition à la formule classique "Encore et toujours", rappelle que dans la répétition, il y a quelque chose qui finit par ne plus se répéter. On a beau dire encore et encore, un moment, c'est jamais."
"Je préfère la répétition de la poésie ou de la chanson. En terme d'émotions, j'ai autant de joie à entendre le refrain d'une chanson qu'une déclinaison et la variation d'un mot dans la poésie. J'aime les mots qui reviennent. Ce qui est intéressant, ce sont les variations de sonorités et de sens qui opèrent au sein de ces répétitions."
"Si on arrive à trouver le sens profond de la répétition, c'est le contraire de l'ennui."
"Répéter, c'est dire je suis vivant"
"La vie, c'est des répétitions jusqu'à la mort" Céline.
Encore et jamais : Variations est paru le 31 janvier 2013 chez Gallimard.
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